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Contravention et droit des technologies

Le 19 mars dernier, Gilles de saint-Exupéry, venait de prêter serment en devenant avocat au Québec. Pour souligner l’événement, je stationna 30 minutes au centre-ville pour féliciter l’ancien éditeur de www.lccjti.ca. Rien de plus normal. Tous aussi normal, en sortant, je disposais d’une contravention sur mon pare-brise avec un malheureux 53$ à payer. La raison pour laquelle je me permets d’en faire un blogue c’est que l’anecdote présente une belle question en droit des technologies. Car si j’ai bien affranchi le montant demandé (mon obole me permettait de rester jusqu’à 19h34 alors que la contravention me fut octroyée à 19h16) c’est qu’il est vraisemblable qu’au lieu de saisir l’emplacement «G360» j’ai mis plutôt, «Q360». La nouvelle technique de détection des espaces non payés trancha avec la froideur de cette technologie redoutable d’efficacité: ticket! ticket Mais commençons par le commencement: la disposition évoquée sur le constat d’infraction est l’article 55 du Règlement sur la circulation et le stationnement (RRVM c. C-4.1) de la ville de Montréal. Notons d’abord que ce texte n’est pas neutre sur le plan technologique dans la mesure où des dispositions particulières prévalent selon le mode de paiement: il en va ainsi différemment selon que l’usager paye par le biais d’un parcomètre (art. 46 et suiv.), d’un distributeur (art. 51 et suiv.) ou d’une borne (art. 55 et suiv.). Cette dernière se distingue par le fait qu’il n’est pas nécessaire dans ce dernier cas de déposer le reçu papier à une place visible au devant du véhicule. Ensuite, et nous arrivons au coeur du sujet, j’ai décidé de contester le présent constat en me basant sur les 4 arguments cumulatifs suivants: le premier, c’est la lettre même dudit Règlement où l’article 55 se lit comme suit:

«55. Aucun véhicule routier ne peut être stationné en un endroit où le stationnement est contrôlé par une borne de stationnement sans que le tarif du stationnement à cet endroit n’ait été payé pour la durée du stationnement. Ce paiement se fait à la borne, pour la période de stationnement que l’utilisateur entend réserver pour son véhicule à la place dont il a enregistré le numéro à la borne, selon l’un ou l’autre des modes suivants : 1º le dépôt de pièces de monnaie canadienne en un montant correspondant au tarif pour la totalité de cette période; 2º l’insertion d’une carte de crédit au débit de laquelle l’utilisateur inscrit un montant correspondant au tarif pour la totalité de cette période.»

Cet article évoque un paiement, ce qui fut fait, pour la durée demandée, ce qui fut fait également.  Bien sûr, il y aurait lieu de tergiverser sur l’expression «à la place» dont l’interprétation pourrait m’être favorable notamment au regard de la bonne foi susceptible de colorer l’humeur d’un juge. Dans un deuxième temps, cette affaire ne me serait jamais arrivé si le paiement avait été produit par un parcomètre ou un distributeur. Dans de tels cas en effet, la capacité de faire erreur est quasiment nulle. Ceci m’amène à un troisième argument, justement, sur la gestion de risque qui est supportée dans le cas de la borne par l’usager. Cette question est d’autant plus importante que la raison d’être de ce passage de responsabilité est justifiée pour permettre à la ville de distribuer davantage de contraventions et de déceler plus rapidement les contrevenants. Enfin, et c’est là que je voulais arriver, le quatrième argument est juridique et repose dans l’article 35 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information.

«35. La partie qui offre un produit ou un service au moyen d’un document préprogrammé doit, sous peine d’inopposabilité de la communication ou d’annulation de la transaction, faire en sorte que le document fournisse les instructions nécessaires pour que la partie qui utilise un tel document puisse dans les meilleurs délais l’aviser d’une erreur commise ou disposer des moyens pour prévenir ou corriger une erreur. De même, des instructions ou des moyens doivent lui être fournis pour qu’elle soit en mesure d’éviter l’obtention d’un produit ou d’un service dont elle ne veut pas ou qu’elle n’obtiendrait pas sans l’erreur commise ou pour qu’elle soit en mesure de le rendre ou, le cas échéant, de le détruire.»

C’est justement cet esprit que l’article 35 veut consacrer: si jamais un acteur entend utiliser une machine pour une transaction avec autrui, elle ne doit pas laisser supporter à la personne humaine les désagréments occasionnés par cette déshumanisation du processus. Par exemple, si jamais j’achète un billet de train en ligne, je n’ai pas à supporter l’éventuelle erreur que j’aurais pu commettre en tapant «11» billets plutôt que «1». La loi exige donc une capacité de corriger mon éventuelle erreur; une opportunité qui ne fut pas offerte dans le cas en cause. Cette disposition se trouve dans plusieurs autres textes; elle origine d’abord de textes onusiens et on peut en voir une forme très similaire dans la Convention des nations unies de 2005 sur l’utilisation des communications électroniques dans les contrats internationaux (art. 12). On peut en trouver aussi une version similaire dans la Loi sur la protection du consommateur (art. 54.5).

«Avant la conclusion du contrat, le commerçant doit donner expressément au consommateur la possibilité d’accepter ou de refuser la proposition et d’en corriger les erreurs.»

Certes, le cadre contractuel est quelque peu différent de celui des deux dernières références; mais l’article 35 de la Lccjti vise les transactions en général et semble d’application très extensive. Comme nous l’avions signalé dans une intervention devant la Cour d’appel dans une tout autre affaire (l’affaire Bolduc), où nous étions juridiquement, Avec Dominic Jaar, du côté de la Ville de Montréal, la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information à vocation à s’appliquer aussi en matière pénale, et ce, au regard de l’article 61 du Code de procédure pénale:

«Les règles de preuve en matière criminelle, dont la Loi sur la preuve au Canada (Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-5), s’appliquent en matière pénale, compte tenu des adaptations nécessaires et sous réserve des règles prévues dans le présent code ou dans une autre loi à l’égard des infractions visées par cette loi et de l’article 308 du Code de procédure civile (chapitre C-25) ainsi que de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (chapitre C-1.1).»

Je sais que c’est beaucoup demander à la justice, déjà très sollicitée et avec des moyens parfois limitées, d’autant que l’enjeu est en l’occurrence insignifiant (53$). Je viens néanmoins de déposer une déclaration de non-culpabilité dont j’attends avec plaisir la recevabilité de l’argumentaire autour de l’article 35 Lccjti.

Ce contenu a été mis à jour le 9 mai 2014 à 12 h 25 min.

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