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Lex electronica: d'hier à aujourd'hui

Avec le rôle de directeur du CRDP, venait la tâche de directeur de publication de la revue Lex electronica. Forte de ses 20 ans, de plus de 320 articles, et dans un monde bouleversé par le tout numérique, que faire pour s’assurer que le savoir scientifique soit le plus efficacement transmis à ses destinataires. Des bribes de solutions apparaissent dans cet éditorial d’une revue fondé en 1995 par Karim Benyekhlef, et ce, pour qu’elle soit aussi fringuante dans 20 ans.
Vincent Gautrais, « Lex Electronica  : d’aujourd’hui à demain », (2016) 21 Lex Electronica I. En ligne : http://www.lex-electronica.org/s/1454.

 
[1] En octobre 2015, nous avions de plaisir de dévoiler la nouvelle coquille web de Lex electronica, fêtant ainsi convenablement les 20 ans de cette revue entièrement numérique qui dévoile au monde entier, en accès libre, des articles en lien avec les intérêts de recherche du CRDP et du RDCG.
[2] Cette année, le changement est d’un ordre plus substantiel : au-delà de l’écrin, au-delà du passé glorieux de cette revue qui méritait une meilleure visibilité de celle que l’ancien site offrait, il importait de considérer, de reconsidérer ce que nous voulions faire de notre revue qui nous a si bien servi en étant, depuis le début, différente. Mais au fait, une revue scientifique, à quoi cela sert? Quelle est sa fonction première?
[3] Derrière la simplicité de ce questionnement, il y a un mot, un acteur, une cible que nous cherchons à satisfaire : l’auteur. Lex electronica, plus encore qu’aujourd’hui, souhaite constituer un espace qui satisfasse les intérêts des auteurs de talent qui depuis 20 ans nous font l’honneur de leur confiance. Or, l’auteur juridique d’aujourd’hui, notamment pour des articles de revue, a des besoins qui ont évolué. Le monde change, le rapport au temps change, le nombre de revues a explosé, le numérique bien sûr est devenu omniprésent avec son lot de bouleversements qui oblige à repenser les fondamentaux de l’édition savante. Aussi, dans le processus d’édition qui est le notre, s’il y a des éléments qui perdurent, voire qui doivent être amplifiés, il y en a des nouveaux qui méritent, aujourd’hui et demain, d’être considérés. Et c’est globalement ce que ce court opus tente de faire.

1.         Lex electronica aujourd’hui

[4] Cet auteur que nous souhaitons satisfaire, que veut-il? Une chose est sûre, nous tentons d’être à l’écoute de ses désidératas et bien que tous ne soient intégrables par la petite structure que nous sommes, il en existe certains qui nous semblent aisés de mettre en place dès aujourd’hui.
[5] Édition rapide. Ce qu’il souhaite, en premier lieu, c’est un traitement rapide de son œuvre. Trop souvent, cela prend des mois, voire des années, avant que l’article soumis ne donne lieu à publication. À titre d’exemple, l’une des fonctions du réseau SSRN, très prisé dans l’anglophonie, est le « moyen d’occuper le territoire » en permettant le dépôt hâtif même de versions préliminaires. Or, dans notre processus d’édition, de l’envoi du document par l’auteur, à la mise en ligne par nos soins, en passant bien entendu par la relecture par les pairs et par le traitement du document (relecture, uniformisation de la forme, mise en page, etc.), nous nous sommes rendus compte que la première source de retard était l’attente liée à un des articles, ce grain de sable handicapant l’entièreté du numéro. Mais en y pensant bien, pourquoi reproduire ce calque littéral au monde du papier que constitue la notion de « numéro » ? Pour une version numérique, pourquoi ne pas se contenter du seul « volume » représentant une année? Fort de cette différence liée au support, nous avons pris le biais de ne plus effectuer de numéro et donc les articles seront désormais publiés par ordre de traitement. Chaque volume correspondra donc à l’année civile, les articles publiés en 2016 correspondront donc au volume 21.
[6] Édition publique. Une autre caractéristique que nous allons densifier est la mise à la connaissance de la communauté des articles publiés. Du fait de cette approche plus individualisée, nous souhaitons effectuer un « mini-événement » pour chaque nouvel article publié. Chacun d’eux fera donc l’objet d’une annonce par le biais de notre « porte-voix » numérique que constitue Twitter; respectivement les comptes du CRDP (@crdp_udem) et du RDCG (@r_dcg). L’auteur, toujours l’auteur. L’incitation pour celui-ci de soumettre un article pour Lex electronica sera d’autant plus grande que la visibilité de son œuvre sera assurée par nos soins.
[7] Édition hybride. Nous l’avons dit, Lex electronica est une revue numérique; simplement une revue numérique, et ce, depuis ses débuts en 1995. Néanmoins, si nous ne souhaitons pas migrer vers le papier, nous croyons important de faire le contraire et numériser des ouvrages qui ont été publiés dans le passé. Dans la mesure où Lex electronica est la revue du CRDP et du RDCG, il est devenu naturel d’offrir une seconde vie à des ouvrages publiés aux Éditions Thémis, éditeur qui accepta, et nous l’en remercions, que cette mise en ligne se fasse. Au bénéfice des auteurs, près d’une dizaine d’ouvrages feront lieu d’une mise en ligne étalée dans le temps. Au bénéfice bien évidemment aussi des lecteurs qui vont ainsi voir la banque de données de Lex electronica agrémentée de nouveaux articles de grande qualité.
[8] À cet égard, et de façon tout à fait éditoriale, nous avons choisi dans ce volume 21 de commencer par l’ouvrage dirigé par la professeure Gendreau, Dessiner la société par le droit / Mapping Society Through Law, Montréal, Éditions Thémis, 2004, 190 p. Ce choix est peut-être tout aussi émotif que scientifique; en effet, il s’agit d’un collectif qui réunit notamment les professeurs Stephen Clarkson et Roderick Macdonald, respectivement disparus en mars 2016 et juin 2014. Cette publication numérique est aussi le moyen de rappeler combien ces auteurs nous manquent et nous ont alimenté.
[9] Édition et autorité. Mais bien évidemment, ces changements apportés à Lex electronica n’ont pas pour objet de faire table rase de ce qui y fonctionne très bien. Un élément qui a toujours été présent dans notre revue, et que nous souhaitons chérir voire consolider, est l’évaluation par les pairs. Classiquement, deux points de vue externes et anonymes sont associés à chaque article. Deux points de vue qui doivent être concordants, et ce, même si parfois l’un d’entre eux requiert quelques modifications de plus ou moins d’importance. Des points de vue sur lesquels, en tant qu’éditeur, nous nous engageons à déterminer le caractère souverain. En effet, il nous est déjà arrivé de ne pas publier des articles qui nous semblaient pourtant « publiables », l’un des évaluateurs ayant produit une recommandation de non publication non équivoque. Selon un point de vue très goethéen, « mieux vaut une injustice qu’un désordre » car il y a rien de plus agaçant pour un évaluateur qui a « investi » gratuitement son temps à lire un texte de voir son avis négligé; non considéré.
[10] Le caractère anonyme est aussi déterminant; néanmoins, nous ne souhaitons pas forcément le sacraliser non plus. Nous entendons par là que si les évaluateurs ne connaissent pas les auteurs des documents que nous leur présentons, même si c’est parfois un secret de polichinelle, nous croyons important de valoriser cette action en listant, pour chaque volume, les évaluateurs qui ont participé au processus. Bien entendu, nous ne dirons pas « qui » a lu « quoi ». Simplement, nous croyons rendre justice à l’évaluateur pour cet investissement en le nommant dans la liste des contributeurs de la revue.
[11] Édition académique. Parmi les spécificités qui ont toujours caractérisé Lex electronica, l’une d’entre elles qu’il nous importe de chérir au plus haut point et l’accès libre au savoir. Dans l’immense majorité des cas, la production scientifique provient de chercheurs grandement financés par le système public; l’évaluation par les pairs est aussi le fruit de personnes qui originent de ce même secteur et qui de surcroît opère ce travail gratuitement. En fait, trop souvent, concernant l’édition juridique, le seul segment qui donne lieu à rétribution est le dernier, « offert » très souvent par l’industrie privée. Une industrie souvent très oligopolistique, le professeur Larivière, de l’EBSI, nous montrant récemment combien le marché de l’édition juridique aux Etats-Unis était entre les mains d’un petit nombre de joueurs [vidéo, vers la 24 mns]. Une industrie qui n’a pourtant pas toujours eu ce rôle prépondérant dans le domaine de l’édition savante, le phénomène étant sensiblement différent jusqu’aux années 70 où une grande partie des revues scientifiques d’importance étaient entre les mains de « sociétés savantes ». Récemment donc, le domaine s’est « privatisé », « industrialisé » et l’édition juridique n’échappe pas à ce phénomène, de surcroît avec des marges de profit étonnantes. En effet, depuis plus de vingt ans, et toujours selon Vincent Larivière, ces marges n’ont jamais été en dessous de 30%! Lex electronica, issue du monde universitaire, pour le monde universitaire, participe à ce courant de réappropriation, fort de la croyance de l’apport susceptible d’offrir tant à sa communauté qu’à ses auteurs.
[12] Édition libre. Nous évoquions plus tôt, la croyance en l’accès libre. Or, depuis le changement de plateforme à l’automne 2015, et même si cela est passé relativement inaperçu, les contenus publiés par Lex electronica sont assujettis à une licence creative commons BY – NC – ND. Trop souvent, les académiques sont hésitants à utiliser de telles licences, et ce, même s’il importe de rappeler qu’il ne s’agit pas de remettre en cause leurs droits d’auteur. Plusieurs conventions collectives, comme celle applicable aux professeur-e-s à l’Université de Montréal, valorisent d’ailleurs ce moyen de faire. Un encadrement est simplement mis en place; des limites sont simplement instaurées, et ce, sans qu’une cession à l’éditeur ne soit requise. Il importe en effet de rappeler que les éditeurs n’ont souvent pas besoin de demander une cession des droits aux auteurs, faisant fi souvent, justement des intérêts de l’auteur.
[13] Des auteurs qui ont bien évidemment à bénéficier, nous croyons, de publications qui soient en accès libre, notamment à cause du fait que certains fonds subventionnaires l’exigent. Mais au-delà de ces exigences formelles, la grande disponibilité du savoir aide à la diffusion, et ce, même si des résistances demeurent. À titre d’exemple, lors de l’évaluation de la promotion académique, parfois, de façon latente, se perpétue une croyance peu motivée de la plus grande qualité tant des éditeurs privés que de ceux sur support papier. Également, cet accès facilité n’implique pas forcément que certains chercheurs vont citer des revues en ligne, la recherche ayant parfois ses habitudes. À cet égard, il est parfois vrai que sur les réseaux, il y a de tout, l’impression papier donnant l’impression que l’investissement requis, même s’il baisse, soit un gage de qualité. Néanmoins, d’un autre côté, il devient de plus en plus facile de faire la distinction entre le bon grain et l’ivraie.

2.         Lex electronica demain

[14] Ceci étant dit, et au-delà des quelques changements que nous avons introduits, il y a des tendances que nous aimerions adopter dans le futur. Petit à petit… Voici trois considérations, notamment, que nous tenterons d’intégrer dans les prochains mois ou années, suite, sans aucun doute, à la validation de la part de nos auteurs et de nos lecteurs.
[15] Édition itérative. Quitte à réfléchir, il est une autre composante que le numérique autorise et que nous ne valorisons pas pour le moment, c’est la plus grande itération que l’on peut désormais considérer. Car les articles publiés ne sont pas « coulés dans le béton » comme dans la publication sur support papier et il est technologiquement possible de modifier un article, suite à une réaction d’un lecteur ou après qu’une loi, une jurisprudence, par exemple, modifie la donne. Même si nous ne voulons pas encore assurer ce « service » pour le moment, des considérations en terme de ressources devant être évaluées, c’est assurément une tendance que nous voulons, à terme, proposer à nos auteurs. Ceux-ci auront donc le loisir de revenir sur certains de ces anciens écrits, sous certaines conditions et au même titre qu’il existe des éditions successives d’ouvrages, on pourrait imaginer la même chose pour des articles de revue. L’auteur disposerait donc de cette alternative, comme il est déjà possible de le faire sur SSRN par exemple.
[16] Édition simplifiée. Un autre élément que nous devrons considérer est le mode de citation que nous utilisons. Des guides propres à l’édition juridique font frémir d’effroi nos collègues des autres domaines de sciences sociales ou des sciences dites dures. Une complexité inégalée est constatée, faisant de surcroît souvent fi des spécificités numériques. Comme beaucoup de matières qui aiment à surexposer ses particularismes, nous avons de plus en plus de mal à légitimer le respect de ces « normes » éditoriales dont l’apport paraît parfois douteux, d’autant qu’elles sont consécutives d’une chronophagie bien problématique.
[17] D’ailleurs, au-delà de ces guides, la note de bas de page est une particularité qui est très associée au support papier. N’y aurait-il pas lieu de limiter cette tendance à une logorrhée infrapaginale qui nuit à une lecture « souple » et continue? La note de bas de page sert soit à prolonger la discussion soit dispose d’un rôle de probité. Il nous semble néanmoins possible de remplir les mêmes fonctions en insérant des références courtes dans le corps du texte, les références longues étant par la suite listées la fin du document.
[18] En pratique donc, une solution toute simple serait donc de calquer le modèle qui prévaut dans d’autres domaines scientifiques, et que nous avons reproduit par exemple sur la plateforme www.lccjti.ca, à savoir, l’incursion entre parenthèses, du nom de l’auteur, l’année, et un chiffre correspondant à la page ou au paragraphe. Tout simplement. Cette manière de faire n’est pas universelle et ne correspond sans doute pas à certains ouvrages qui veulent faire état de façon exhaustive de l’état de la jurisprudence sur des points de droit particuliers. Néanmoins, pour des revues, avec des articles de 10 à 25 pages en moyenne, il nous semble pertinent de tenter, à terme, l’expérience. Il est également possible d’utiliser un lien hypertexte ou une « ancre » qui réfèrerait à une note présente en fin de document, comme cela se fait par exemple dans la revue Champ pénal. Comme le disait si bien Michel Serres, « les nouvelles technologies nous ont condamnés à devenir intelligents ».
[19] Édition en « mode écran ». Le dernier élément dont nous voulons faire état quant aux changements qui pourraient être considérés par Lex electronica concerne la lecture en mode écran. De plus en plus, lorsque nous discutons avec nos lecteurs, nous nous rendons compte que les articles de Lex electronica ne sont pas systématiquement imprimés mais consultés sur l’écran, sans le transfert du document sur support papier. Ils sont donc numériques tant pour la diffusion que dans l’appropriation par les lecteurs. Ainsi, et conformément à la discussion précédente relative aux notes de bas de page, il nous semble important de tenir compte de cette nouvelle réalité. D’abord, et dans la mesure du possible, nous croyons important d’intégrer des liens hypertextes qui pourraient notamment faire office de note de bas de page. Comme les notes de bas de page, les liens sont des invitations à aller plus loin. Ils raccourcissent le texte et permettent d’accéder de façon dynamique à la source même d’un document lié. Ils se conçoivent d’autant plus que de plus en plus de documents sont disponibles en ligne. Néanmoins, cette façon de faire demande sans doute un usage d’utilisation, dans la mesure où en trop grand nombre, ils risquent de remettre en compte l’unité d’un document. Il y a donc une certaine ambigüité à l’égard de ces liens, qui certes densifient le contact avec les documents cités mais qui de l’autre, comme l’affirme le professeur Vandendorpe, troublent la linéarité habituelle de lecture. Sans oublier parfois le fait que ces liens ne disposent pas toujours de la persistance souhaitée. Malgré tout, fort de quelques balises, ces quelques irritants pourront sans doute être apprivoisées sans trop de difficultés.
[20] Ensuite, Il y a lieu de s’interroger sur la longueur des textes, et ce, même si jusqu’à ce jour aucune directive n’existait véritablement. En effet, nous croyons apercevoir une certaine tendance à l’allongement des articles ce qui n’est pas forcément une voie à favoriser.
[21] Encore, et comme la note de bas de page, la page elle-même est une composante héritée d’un autre support. Il y aurait donc lieu, ce qui se fait de plus en plus, de favoriser les paragraphes qui permettent un découpage plus fin, moins artificiel, du texte. En effet, souvent, on essaye d’associer une idée à un paragraphe, ce qui permet par le fait même de faciliter la mise en référence.
[22] Enfin, et dans une perspective plus futuriste, pourquoi ne pas prendre plus de distance encore d’avec le modèle papier avec des solutions qui prendraient en compte une lecture augmentée. Sans remettre en cause le caractère textuel de la revue, il serait possible d’insérer des extraits vidéo ou sonores. Il serait possible en effet…
[23] Lex electronica a 20 ans. Justement, 20 ans, c’est l’âge des possibles. Cette liste de projets pour l’avenir est donc indicative et surtout pas exhaustive. Le numérique autorise non cette remise en cause mais cette réappropriation des fonctions essentielles qui caractérisent la raison d’être de notre revue; pour les 20 prochaines années…
 

Ce contenu a été mis à jour le 27 avril 2016 à 16 h 40 min.

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