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L'école de Montréal, Laboratoire de cyberjustice(31 janvier 2019)

Mon nom est Vincent Gautrais et je suis directeur du Centre de recherche en droit public, CRDP, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, et j’ai eu le privilège d’organiser cette après midi que je me suis permis d’appeler « Penser le droit autrement… ». Derrière cette appellation énigmatique, il y a pourtant une vraie cohésion entre trois activités qui bien que de nature et de portée différente s’imbriquent pourtant, c’est ma prétention, avec une vraie harmonie.
Dans le cadre de cette introduction, il me plait de vous présenter

  • Tout d’abord l’après-midi à proprement parler et sans transition j’embarquerais ensuite
  • …sur le premier panel qui s’intitule « École de Montréal » ou je dirais quelques mots tant la notion d’école, sur le livre que sur les deux intervenants à mes côtés.

1 – PENSER LE DROIT AUTREMENT

Comme je vous le disais, l’après-midi est une valse à trois temps autour de la théorie du droit et qui débutera dans quelques minutes avec le lancement d’un livre représentant une collaboration de plus de trente ans avec la Faculté de droit de McGill tout d’abord puis l’Université Laval. Dans le cadre de ce premier temps, au-delà d’une brève allocation sur ce livre en tant que tel, nous aurons le privilège d’entendre 2 des 17 contributeurs qui présenteront respectivement ce qu’est cette école et comment elle s’illustre dans un domaine en particulier, celui des droits économiques. Ces deux auteurs seront les professeurs Benyekhlef (UdeM – CRDP) et Vézina de l’université Laval. J’y reviendrais.
Après une pause santé, nous passerons à la deuxième station de notre « pèlerinage théorique » en écoutant le professeur François Ost de l’Université Saint-Louis de Bruxelles en Belgique. Son intervention en fait a été, peut-être ne le sait-il pas lui-même, le catalyseur autour de cette après-midi. Car en effet, là encore, François Ost a fait école, et l’école de Saint-Louis a fait son chemin, représentant ce courant qu’il a notamment théorisé avec Michel Van de Kherkhove dans une pléthore de livres qui hantent plusieurs des séminaires de nos études de maitrise et de doctorat.
Enfin, comme directeur du CRDP, comme produit du CRDP qui a instrumentalisé dans sa thèse d’abord ses travaux de recherche ensuite, le courant pluraliste qui se dégage dans l’école de Montréal, il me fait plaisir de pouvoir mentionner que nous scellerons cette après-midi avec la remise de la médaille de la Faculté de droit de l’université de Montréal à Guy Rocher. Pierre Noreau, absent pour le moment, initiera le bal de ce troisième temps. Il donnera par la suite la parole à Yan Sénéchal qui effectue son doctorat sur Guy Rocher lui-même. Pour en avoir parlé avant-hier avec le récipiendaire, Yan est un peu comme Jean D’Ormesson qui prétendait mieux connaître la vie de Chateaubriand que sa propre vie. Ici c’est pareil, Yan connaît mieux la vie de Guy Rocher que Guy Rocher ne la connaît lui-même. Ensuite, le protocole prendra le dessus et le doyen Jean-François Gaudreault-Desbiens remettra formellement ladite médaille ; suite à quoi Guy Rocher nous dira quelques mots.
Voici donc le menu intellectuel de l’activité qui j’en suis sûr réussira à cumuler, phénomène rare, le côté roboratif des idées et la finesse de la pensée. Je finirais la présentation de cette après-midi avec de basses considérations matérielles :

  • la première : un peu comme Magritte, ceci n’est pas une salle de conférence mais un tribunal. Aussi, il est rigoureusement interdit de manger ou de boire autre chose que de l’eau.
  • La deuxième est toute aussi prosaïque : les attestations de formation continue du Barreau du Québec et de la Chambre des notaires sont à signer sur le document qui sera mis à votre disposition sous peu. La signature est requise pour que l’attestation soit créditée et celle-ci vous sera par la suite transmise par courriel.
  • Je souhaitais aussi évidemment remercier en votre nom Ledy Zannou, Doctorant, et responsable des communications, et Laurence Largenté, coordonnatrice du Centre, pour leur soutien précieux dans l’organisation de cet événement.
  • Également, sachez que cet événement est filmé, sauf les périodes de questions et de réponse. Alors, laissez-vous allé, et n’hésitez de profiter de ces période d’échange que nous avons voulu relativement longue afin de bénéficier de la belle audience dont nous bénéficions aujourd’hui.
  • La dernière, si vous m’autorisez est tout simplement pour vous dire que l’ouvrage « L’école de Montréal » est disponible à l’achat pour seulement 40$.

2 – ÉCOLE DE MONTRÉAL

Ma seconde tâche revient à évoquer ce livre que j’ai eu le plaisir de diriger. Elle aussi, se déclinera en trois points que je me dois de vous présenter.

2A – ÉCOLE

Son nom tout d’abord ne se justifiait pas. École de Montréal. Il y a derrière l’appellation d’école, derrière cette expression « faire école », derrière cette appellation autoproclamée qui fleure la prétention, une réticence que l’on ressent d’ailleurs dans plusieurs textes. Une réticence d’autant plus prégnante qu’elle me fut apparue, sans que je sois tout à fait capable d’en déceler l’auteur, lors d’une activité scientifique que nous avons eu avec le professeur Benyekhlef (du CRDP) et Moyse (McGill) à la Cour d’appel de Versailles organisée par Valérie-Laure Benabou. Malgré tout, je me suis non seulement habitué à l’idée mais je la revendique depuis longtemps, notamment en 2012 alors que Karim alors directeur orchestrait une activité fêtant les 50 ans du CRDP et m’avait convié à décrire ce qu’était pour moi le CRDP. La revendication de cette appellation d’école est susceptible de se justifier pour diverses raisons. Pour le moins quatre :
1 – École. La première est aussi simple et jolie que l’étymologie du terme école qui en latin signifie « Loisir studieux ». Derrière cette origine, il y a plusieurs noms de personnes comme MacDonald, Belley, Lajoie, Rocher (vous aurez l’occasion d’entendre plusieurs fois ce quatuor d’auteurs indispensables, incontournables) des personnes qui furent des vrais pédagogues conscients de cette fonction d’apprentissage et de formation que décèle la recherche. Derrière l’idée d’école, il y a donc celle d’un lieu regroupant une communauté de chercheurs de carrière et de jeunes chercheurs qui unissent un regard dans une certaine direction mais qui laisse aussi la place à la réverie. Shauna Van Praagh nous propose une analogie délicieuse selon laquelle, pour elle, l’école de Montréal, c’est d’abord et avant tout une « cour d’école » où l’on essaye, où l’on expérimente.
2 – École en devenir. Une deuxième raison qui me permet de justifier cette appellation d’école de Montréal tient au fait que l’exercice ne tient pas lieu de consécration mais bien davantage de constatation. En lisant le livre, vous apercevrez qu’il n’y aucune once de cette prétention dont je craignais. Au contraire, un lieu commun qui se retrouve dans plusieurs des articles qui jalonnent ce collectif font état de doutes et d’une critique sur ce qui aurait pu être fait et ce qui ne l’a pas été. Ce courant pluraliste qui caractérise cette école, je laisserais à Karim le soin de le montrer, aurait pu être théorisée davantage, aurait pu donner lieu à un exercice de systématisation qui au contraire laisse planer une pluralité de perspectives. Des critiques présentées, je citerais pour l’exemple celle proposée par Jean-Guy Belley (il ne pouvait malheureusement pas être là aujourd’hui mais nous avons eu l’occasion de le rencontrer lundi passé) Jean-Guy qui en 2006 faisait état de la « tentation romantique » du pluralisme radicale. Richard Janda, en 1998, se désolait de son caractère « autodestructeur », comme le souligne Fabien Gélinas dans son texte. Avec une élégance moindre, et une méthodologie scabreuse, Bjarne Melkevik, utilisant l’approche provocatrice qu’on lui connaît, est même beaucoup plus acerbe. Donc point de forfanterie derrière cette école ; simplement, une unité de vue qu’il importe de constater.
3 – Justement, en troisième lieu, et de façon plus substantielle, l’appellation d’école de Montréal se justifie pleinement de par le fait même que des spécificités semblent pouvoir être identifiées : d’abord, une école détient un trait quantitatif selon lequel une certaine synergie opère derrière une masse critique de chercheurs. Ensuite, une école se caractérise par un élément qualitatif qui est celui de la rupture, du changement, de la mutation. Une école fait « école » dès lors qu’elle se présente en porte-à-faux d’avec une position dominante, classique. François Ost nous e disait lundi en citant Bachelard « Toute science commence par un refus ».
Sur le premier point, le point quantitatif, nul doute que le poids des générations de chercheurs, et j’en suis la preuve vivante, peut légitimement respecter cette première condition. Il n’y a pas une année où plusieurs jeunes chercheurs passent le Rubicon de la recherche en devenant, au gré des ouvertures de postes, des ambassadeurs académiques de ce courant.
Pour la seconde, l’élément qualitatif, et là encore sans effleurer ce qui sera sans doute dit par Karim Benyekhlef, l’école de Montréal au-delà de la volonté de simplement s’exonérer du positiviste qui régnait sans partage jusque dans les années 80, comme le prétend Fabien Gélinas, il apparaît clair que cette école constitue aussi une rupture pluraliste. Une école d’adaptation aux faits, du droit en contexte, sans lequel il n’ai de bon régime juridique qui puisse tisser un lien cohérent entre ce qui est et ce qui se doit. Entre fidélité descriptive et construction théorique, c’est cet apport indéniable que nous comptions apporter à ce quatuor de chercheurs initiaux (je me permets de les renommer : Belley – Lajoie – Macdonald – Rocher) c’est à ces chercheurs que nous nous devons de rendre hommage.
Ainsi, à côté de l’école de Saint-Louis déjà citée, d’Orléans autour des travaux de la professeure Thibierge, de Bruxelles aussi autour de Perelman et consorts, pour ne citer que des écoles en lien avec une certaine vision plurielle du droit, l’école de Montréal détient je crois toute la légitimité requise.
4 – Enfin, en quatrième et dernier lieu, et sans prétention aucune d’exhaustivité, il est une autre caractéristique forte que je crois importante de signaler, d’autant que je n’ai pas assez insisté sur elle dans mon court papier introductif. Derrière cette école, le détour théorique indispensable, qu’il importe de faire afin d’assurer ce lien nécessaire avec ce qui est, n’est pas une fin en soi. Ce détour théorique s’instrumentalise et se concrétise, il s’enracine dans des projets concrets qui font du CRDP un incubateur depuis plusieurs décennies. Lors d’une allocation que j’avais eu l’occasion de faire suite à un don fait à la faculté par Marc Lalonde, ancien ministre, politicien, avocat, arbitre, et accessoirement chercheur au CRDP que l’on aperçoit dans la photo prise lors du lancement de 1962, j’avais voulu souligner l’importance des réalisations concrètes tel que, par exemple, LexUM (Poulin), Cartagène (Knoppers), et plus récemment ADAJ (Noreau) et le laboratoire de cyberjustice (Benyekhlef) et de l’influence de ces réalisations dans la construction d’un Québec moderne. Comme me le signalait Guy Rocher cette semaine, le CRDP se concrétise par « le droit dans l’action » ; Weber dans sa superbe.

2B – PRÉSENTATION DU LIVRE À PROPREMENT PARLER

Beaucoup plus rapidement, il me faut faire une présentation du livre à proprement parler. J’ai déjà évoqué les cinq contributeurs qui s’attachèrent strictement à l’école de Montréal : Noreau, Gélinas, Melkevik, Van Praagh et bien sûr Benyekhlef qui vous présentera son article s’intitulant justement « Autour de l’école de Montréal ». je n’en dirais pas plus.
Mais cette école s’est aussi illustrée dans trois domaines d’application qui s’intitulèrent 1) les nouveaux rapports sociaux ; les nouvelles technologies et 3) santé et environnement.
Je crains de ne pas avoir le temps de les citer tous mais je suis surpris combien la plupart de ces contributions son des merveilleuses illustrations de ce courant pluraliste. A titre d’exemple, Geoffrey Conrad, docteur de l’université McGill depuis quelques jours, nous propose un papier sur l’article 7 de la Charte expliquant notamment comment les principes démocratiques sont sous tension face aux nouvelles formes de pluralisme.

how justice and democracy are challenged by contemporary forms of pluralism: plural ideas about what we value, plural ideas of the community to which we belong, and plural ideas about what justice is.

Dans la même veine, Andrée-Anne Bolduc, étudiante à la Faculté de droit de l’UdeM, s’intéresse aux codes de conduite qui tentent d’infléchir les comportements des parlementaires et Émilie Mouchard, désormais docteure en droit, évoque les difficultés en lien avec la régulation collaborative en matière de vie privée.
Selon un choix totalement éditorial, je me permettrais de citer le texte savant du professeur Janda qui selon une approche très connectée me semble t-il aux propos de Michel Serres expose comment les technologies vont amplifier le phénomène d’hyper-réflexivité de la norme (de façon très cohérente de propos de Rod MacDonald), et ce, en se séparant de la législation. Selon une approche résolument pluridisciplinaire, la professeure Régis utilise la psychologie en espérant « raffiner la compréhension des processus décisionnels humains ». Hugo Tremblay, dans un texte très personnel que je ne permettra pas de résumer, utilise assurément la liberté d’expérimentation vantée par Shauna Van Praagh et dont l’on ne se prévaut que trop peu.

2C – PRÉSENTATION DES INTERVENANTS

Encore plus brièvement, et finalement, je vous dirais deux mots seulement sur les deux intervenants qui vont prendre maintenant la parole.
Karim Benyekhlef est professeur titulaire à la Faculté, précédent directeur du Centre, titulaire de la Chaire Lexum et bien entendu fondateur, avec Fabien Gélinas, du Laboratoire de cyberjustice. Karim comme mentionné évoquera à proprement parler l’école de Montréal qui constitue la thématique de ce premier opus.
Sans transition après Karim, la période de questions étant à l’issue des 2 interventions, nous aurons le plaisir d’entendre Christine Vézina, elle aussi un produit du centre, qui aura la tâche de parler à côté et devant ses directeurs de thèse. Christine est professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval, Ses intérêts de recherche portent sur le droit à la santé des personnes marginalisées et sur les mécanismes de mise en œuvre des droits économiques sociaux et culturels. Parmi ses faits d’armes, je dirais notamment qu’elle avait obtenu la bourse Andrée Lajoie et que sa thèse, soutenue en 2013, a reçu la prix de l’APDQ pour la meilleure thèse en droit du Québec.
La parole est à Karim.
 

Ce contenu a été mis à jour le 1 février 2019 à 10 h 26 min.