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Facebook au bureau : attention aux excès ! (Journal Forum (Dominique Nancy), 30 septembre 2014)

Lorsque les dirigeants de la municipalité de Belœil ont constaté qu’un de leurs techniciens chargé de travaux de voirie passait trois heures par jour à naviguer sur Internet, ils l’ont congédié. La Ville agissait en toute légalité, car la preuve a démontré que 99 % de la navigation de l’employé sur le Web n’avait aucun lien avec son travail.
Elle était consacrée à la visite de sites de clavardage, de rencontres et d’achats en ligne.
«Cet exemple montre l’importance que les salariés devraient attacher à l’usage qu’ils font d’Internet et des médias sociaux au bureau. Pour l’employeur, le temps que l’employé consacre à des activités personnelles au travail l’est aux dépens de l’entreprise. En l’occupant à autre chose qu’à ses tâches, l’employé ne fournit pas sa prestation de travail ou ne la fournit pas pleinement», commente Hortense Eone, qui a déposé en 2012 un mémoire de maîtrise sur le sujet à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.
L’histoire du technicien de Belœil a attiré l’attention d’un large public lorsqu’elle a éclaté au grand jour, en 2007. Hortense Eone a voulu savoir si elle constituait une exception ou si l’usage abusif ou inapproprié d’Internet (par exemple la visite de sites pornographiques ou le téléchargement illégal de pièces musicales) par les employés était fréquent. Par ailleurs, comme toute utilisation d’un ordinateur laisse des traces que l’employeur peut aisément suivre, elle s’est questionnée quant à la légitimité d’un tel contrôle. «Dans quelle mesure une telle surveillance peut-elle s’exercer? L’employeur est-il autorisé à lire la correspondance électronique ou à vérifier l’historique de la navigation de ses employés? Bref, existe-t-il un droit à la vie privée au travail? Si oui, comment ce droit s’articule-t-il avec les droits de l’employeur?»

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Hortense Eone

Au cours de sa recherche, Mme Eon a relevé et examiné une centaine de cas qui ont fait jurisprudence entre 2001 et 2013 au Québec, en France et aux États-Unis. Sa conclusion : «Un usage raisonnable ne mettant pas en cause la productivité est de plus en plus admis par l’ensemble des organisations. Cette utilisation doit toutefois rester conforme aux lois et aux valeurs de l’entreprise. En cas d’usage abusif, les tribunaux jugeront presque toujours les contrôles de l’employeur justifiés, surtout si ce dernier a mis en place une politique claire d’utilisation des outils électroniques.»
Sept entreprises sur 10 exercent un contrôle
Plus de 40 % des internautes naviguent au bureau, selon l’Enquête canadienne sur l’utilisation d’Internet menée en 2010 par Statistique Canada. Ce chiffre pourrait même être plus élevé en réalité, estime la chercheuse. «Tous les usages ne sont pas abusifs ou inappropriés, mais on note une recrudescence du nombre de congédiements à cet égard», signale-t-elle. D’après un rapport de l’American Management Association et de l’ePolicy Institute rendu public en 2007, «30 % des employeurs avaient congédié des salariés pour non-respect des politiques d’utilisation de l’Internet alors que 28 % l’avaient fait à la suite d’un usage inapproprié de la messagerie électronique», écrit-elle dans son mémoire.
La possibilité de contrôler l’activité des employés a été reconnue à l’employeur, y compris la cybersurveillance. Sept entreprises sur 10 exerceraient aujourd’hui ce droit. «L’employeur peut accéder au disque dur de l’ordinateur d’un employé pour en vérifier le contenu à condition que cette opération ne se fasse pas à l’insu de l’intéressé», précise Mme Eone. C’est du moins la situation en France, où la vie privée des travailleurs est mieux protégée. Au Québec et aux États-Unis, l’employeur n’est même pas obligé d’aviser l’employé. Chez nous, cependant, il doit avoir un motif raisonnable.
Hortense Eone reconnaît que la surveillance continue n’est pas la norme au Québec, mais elle constate que cette tendance suscite de plus en plus de débats en raison des questionnements quant aux droits et libertés des employés. «Le régime américain privilégie le droit de propriété de l’employeur plutôt que les outils de travail et ne laisse aucune place à la vie privée du travailleur, dit-elle. Le droit québécois admet que les salariés aient une attente raisonnable à l’égard de leur vie privée au travail, même si l’expression de celle-ci est plutôt réduite.»
Un autre problème soulevé dans son mémoire a trait aux politiques d’utilisation des technologies de l’information et de la communication au sein de l’entreprise. «De nombreux employeurs ne donnent aucune directive relativement à l’usage des outils de communication électronique et s’en remettent au bon jugement de leurs employés, souligne-t-elle. L’entreprise doit faire connaître clairement à ses employés leurs obligations et responsabilités afin d’éviter les mésententes et sanctions.»
La chercheuse admet que les entreprises puissent souhaiter surveiller leur personnel durant les heures de travail. «Mais, à partir du moment où l’on accepte l’idée que le travail s’invite dans la vie privée des salariés, on doit faire preuve de tolérance, prévient-elle. Il suffit par ailleurs qu’un employé jouisse d’une certaine autonomie et d’une souplesse dans l’organisation de son emploi du temps ou que sa rémunération ne soit pas fonction du nombre d’heures de travail pour que le temps, pris comme unité de mesure de la prestation de travail fournie par le salarié, perde toute pertinence.»
L’étude d’Hortense Eone, dirigée par le professeur Vincent Gautrais, a servi de préliminaire à un ouvrage intitulé La cybersurveillance des salariés à l’ère du web 2.0, publié en 2013 aux Éditions Yvon Blais.
Dominique Nancy

Ce contenu a été mis à jour le 30 septembre 2014 à 22 h 44 min.