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La vidéosurveillance menace-t-elle la vie privée? (Journal Forum (Dominique Nancy), 9 septembre 2014)

« Souriez, vous êtes filmé. » La petite affiche sur la porte du magasin d’alimentation passe presque inaperçue. On est tellement habitué à se faire filmer partout, en ville, à l’aéroport, sur la route… Ce que certains nomment le « voyeurisme sécuritaire » fait désormais partie de notre quotidien.
Et c’est légal! La vidéosurveillance menace-t-elle la vie privée?
Oui, affirme Vincent Gautrais, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire en droit de la sécurité et des affaires électroniques. « Les nouvelles technologies sont de plus en plus intrusives et permettent de recueillir une pluralité de renseignements, dont des données personnelles. Comme pour les bonbons, on doit se limiter, car les usages qu’on peut en faire sont risqués », estime-t-il.
Le professeur n’est pas contre la vidéosurveillance dans l’espace public. Mais, selon lui, il est essentiel de restreindre l’utilisation des données pour éviter que des personnes s’en servent à des fins autres que les besoins d’origine. Il rappelle que « l’information qui coule est comme un savon mouillé. Elle est presque impossible à rattraper. »
Au Québec, aucun organisme officiel ne peut nous renseigner précisément sur le nombre de caméras « plus ou moins » cachées. Fermement convaincus de l’efficacité de tels dispositifs, ce dont on peut parfois douter, même les élus municipaux n’hésitent plus à en faire installer dans le paysage urbain. Sur nos routes, des radars automatiques gardent l’œil en permanence sur les automobilistes. Un constat d’infraction est envoyé au domicile du conducteur après lecture de sa plaque d’immatriculation. Incontestable. Une image vaut mille mots!
À l’échelle internationale, l’enjeu est clair : identifier et capturer les terroristes. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, cette problématique permet de légitimer les « politiques sécuritaires » dans les aéroports, où des instruments de détection sophistiqués sont capables de repérer tout individu ou colis suspects. Déjà soumis aux détecteurs de métal, les voyageurs peuvent désormais être examinés aux rayons X et, du coup, mis à nu! « Dans le cas de la vidéo dans les établissements publics et sur les voies de circulation, on nous prévient qu’on est filmés et, généralement, les données sont bien employées », observe Vincent Gautrais. Mais il y a des dérapages. Par exemple, du côté des employeurs qui filment en continu les employés à leur insu ou encore des services de sécurité. « C’est toujours par hasard qu’on découvre les débordements et, au bout du compte, on dispose de peu de moyens pour surveiller ceux qui nous surveillent », souligne M. Gautrais.

« C’est toujours par hasard qu’on découvre les débordements et, au bout du compte, on dispose de peu de moyens pour surveiller ceux qui nous surveillent »

Croqué sur le vif… ou par WiFi!

CBC a suscité une controverse en janvier dernier en dévoilant l’existence d’un document ultrasecret selon lequel le Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CST) espionnerait les Canadiens qui utilisent les zones d’accès sans fil dans les aéroports. La Défense nationale expliquait quelques jours plus tard dans un communiqué que « le CST a le mandat d’acquérir des renseignements électromagnétiques étrangers pour protéger le Canada et les Canadiens. »
Que faut-il penser de ce pouvoir de l’État? Selon Vincent Gautrais, la capacité de contrôle de l’État est presque sans limites. La lutte contre le sentiment d’insécurité étant devenue une priorité nationale, le phénomène n’est pas prêt de disparaître. Signe de la tendance? « Des preuves d’enregistrement sont de plus en plus présentées devant les tribunaux, même si elles vont à l’encontre des droits fondamentaux, indique le professeur Gautrais. Ultimement, les juges ont le devoir de tenir la balance égale entre ces libertés fondamentales et une saine administration de la justice. »
Dominique Nancy

Ce contenu a été mis à jour le 9 septembre 2014 à 8 h 48 min.