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Préface dans Caroline Vallet, La protection des mineurs face à la pédopornographie, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2011.

Il importe de parler de la réglementation de la pédopornographie sans émotion. Derrière l’horreur, le drame, derrière les peurs que la nouvelle donne Internet suscite, un regard froid doit être posé. De celui qui ne trahit pas de l’indifférence – comment ce pourrait-il ? – mais qui souhaite se distancer des trop grandes passions entourant un sujet vieux et neuf à la fois. Et c’est bien ce que Madame Caroline Vallet nous propose avec brio dans cet ouvrage s’intitulant « La protection des mineurs face à la cyberpédopornographie : étude comparée entre le droit criminel canadien et français » ; une réponse lucide, calme, incroyablement documentée qui permet d’étayer sa critique tant sur la substance que sur l’existence du droit qui ne manque pas d’apparaître, au gré des annonces politiques, des faits divers, des élections.
Lucide d’abord tant une partie importante du présent travail montre que ce domaine du droit criminel est fortement ancré dans une conception morale qui évolue, assez rapidement d’ailleurs, depuis quelques années. Une moralité qui se développe d’autant plus que des chiffres de la dangerosité du web ne sont pas avérés et sont trop souvent construits pas des auteurs ou des institutions qui trouvent une certaine complaisance à ce discours pessimiste.
Le propos de Madame Vallet est également posé, offrant une analyse structurée, rigoureuse, qui s’effectue au gré d’un voyage salvateur tant dans l’espace que dans le temps. En effet, une comparaison est en premier lieu proposée avec le droit français où, en dépit d’une base conceptuelle différente, des similitudes importantes sont relevées. En second lieu, un regard historique approfondi est présenté offrant un éclairage indispensable à l’étude d’une série d’infractions qui avait un sens tout autre il y à encore quelques décennies.
Enfin, il nous fait relever la très haute qualité documentaire de cette recherche qui étaye l’ensemble des développements présentés ici. Et c’est là que l’approche comparative entre la France et le Canada prend tout son sens ; en dépit des différences, les questionnements, les doutes sont les mêmes quand vient le temps d’évaluer si la mesure législative encourue n’est pas plus dommageable que le mal qu’elle essaye d’endiguer. Également, il me plait de signaler la force du regard croisé, pluridisciplinaire, que l’auteure propose à son lecteur, au-delà du seul droit criminel ; au-delà du seul regard juridique.
En bout de ligne, l’intérêt suprême de ce livre est peut-être le suivant : législateur, a-t-on en toutes les circonstances besoin de votre loi ? Face à l’inflation dramatique des textes qui ne manque pas de poindre çà et là, il est légitime de se demander si nos jeunes sont dans les faits mieux protégés ? Ne fait-on pas face de temps à autre à l’avènement d’une loi dont l’intérêt premier est de pouvoir attacher le nom d’un politicien à la mesure[1] ? La loi n’est-elle pas parfois, un texte trop vitement forgé pour contrer la supposée mansuétude d’un juge qui ne fait qu’appliquer un droit patiné par le temps ? Son « coût », comme affirmait Jacques Ellul, est-il supportable dans une société technologique en construction dont ne sait pas encore où elle va nous mener ?
La nouveauté technologique est donc la source de bien des questionnements que le droit, science de réaction, serait bien avisé de se poser au préalable. Comme le mentionne l’auteur, on peut être sceptique, en se basant sur le concept pour le moins boiteux de « neutralité technologique », de développer de nouvelles législations visant à ajouter un préfixe « cyber » à une multitude d’infractions existantes (telles que « cyberharcèlement », « cyberleurre », « cyberpédophile », etc.). Caroline Vallet est également particulièrement convaincante lorsqu’elle critique le fait que la privatisation de la justice soit une voie d’avenir source de sécurité, et ce, en ajoutant une kyrielle de nouvelles obligations aux fournisseurs d’accès Internet. Le « bon » vieux droit, pétrit de tradition et de réflexes ancestraux est assurément un gage de meilleure prévision du futur.
Pour finir, au-delà du plaisir que j’ai eu de diriger cette thèse, avec le concours savant et professionnel de Madame Agathe Lepage, professeur à Paris II, au-delà également de l’opinion, courageuse, instructive que Madame Vallet développa tout au long de ces longues pages, je puis ajouter avoir été convaincu. Convaincu non pas du travail effectué ou de sa qualité, ce qui tient de l’évidence, mais que dans l’état actuel du droit, si peur il devait y avoir, c’est davantage dans le « trop » que dans le « pas assez » de règles qu’il se situe.
 


[1] Christian ATIAS, « Tendance d’un temps ou inexorable loi du droit ? », (4 novembre 2010) Dalloz 2536 : « l’idée de loi – l’idée que les phénomènes et les comportements obéissent à des lois – séduit. Parce qu’elle s’expose simplement et demeure en mémoire, parce que le nom d’un découvreur peut y être attaché, l’affirmation de la loi semble marquer une étape historique. »

Ce contenu a été mis à jour le 11 décembre 2019 à 9 h 29 min.