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Préface dans Abderraouf Elloumi, Le formalisme électronique, Centre de publication universitaire, Tunis, 2011.

couverture_elloumiLe commerce électronique est encore adolescent ; les faits entourant son développement évoluent très rapidement sans que l’on ne mesure encore tout à fait l’ampleur de la révolution communicationnelle que nous sommes en train de vivre. Quant au droit, il tente, avec un succès assez mitigé, fort de ses lois, de ses jurisprudences, de ses normes de plus en plus nombreuses, d’encadrer le tout ; plus exactement, il  essaye de donner une certaine impression d’encadrement.
Face à ce constat « tout feu tout flamme » sur la réalité quelque peu ébouriffante en la matière, l’approche de l’exégète ne peut suivre qu’une seule voie : celle de la rigueur et de la recherche documentée. Par bonheur, ce fut exactement le chemin qui fut suivi par Monsieur Adberraouf Elloumi dans sa thèse s’intitulant « Formalisme électronique ».
Une rigueur qui se perçoit tout d’abord dans l’organisation des idées, irréprochable, emprunte de tradition et d’une plume souple et alerte. Une rigueur que l’on trouve aussi dans la confrontation de vieilles sources, classiques, en droit civil, avec la réalité toute neuve de l’Internet naissant.
Ce respect du droit en tant que science de réaction, fruit d’une construction lente à travers le temps, s’accommode également parfaitement avec l’analyse documenté qui est proposée dans cet ouvrage. Ce livre offre en effet un regard complet sur l’état de la doctrine et de la jurisprudence, et ce, en utilisant une analyse comparative poussée. Je me plairais d’accentuer sur ce fait en signalant qu’il s’agit là, ce qui n’est pas fréquent, d’une « vraie » analyse comparative. Pas de celles qui butinent çà et là quelques références externes pour mieux mettre de l’avant sa propre doctrine nationale. Aussi, ce sont bien des références françaises, bien sûr, mais également québécoises, belges, suisses qui sont utilisées pour étayer ensuite le droit tunisien qui tient finalement lieu de creuset d’analyse.
Au-delà de ce classicisme, nécessaire, l’ouvrage de Monsieur Elloumi dispose néanmoins d’une vraie « couleur », propre à son auteur, d’une « vraie » thèse, emprunte de courage et d’affirmation. Ainsi, la thèse avancée affirme en premier lieu que si le formalisme électronique s’est assoupli perdant son caractère docte, classique, d’une forme nécessaire à la validité d’un acte, il pâti en revanche, en second lieu, d’une complexité qui rend son application difficile.
Bien sûr, il est possible d’atténuer cette double assertion. D’une part, si le formalisme souvent qualifié « d’indirect » est effectivement sujet à une sanction moins forte qu’une formalité ad validitatem, il s’est généralisé pour devenir une solution presque incontournable dans les environnements électroniques. Si l’on peut donc croire que l’assouplissement est question de perspective dans la mesure où effectivement l’absence de condition formelle ne constitue plus toujours une cause rédhibitoire de sanction de ce manque, la forme est partout, omniprésente. Le formalisme contractuel est donc devenu la norme et le consensualisme l’exception. Comme si l’électronique avait opéré un renversement de tendances ; comme si la perte de la matière inhérente au papier exigeait d’ « e »ncrer désormais plus d’assurance dans une procédure plus ferme, plus formée.
D’autre part, la complexité qui est effectivement identifiable dans un grand nombre de circonstances, trahi sans doute une perception du moment. Un moment où, face à l’énormité du changement, le juge n’a pas encore joué son rôle de producteur de « souplesse », en interprétant le formalisme de façon telle que la sanction de son manquement soit atténuée. Face à la multiplicité des formalités exigées par les différentes lois, l’interprétation jurisprudentielle n’a peut-être pas encore permis d’y ajouter la patine, imposée par le temps, que le juge habituellement apporte, conformément au constat du Doyen Flour. Plus précisément, cette complexité est effectivement sanctionnée par les juges européens et d’Afrique du Nord qui analysent encore les nouvelles formalités législatives avec la rigueur imposée par la lettre. À cet égard, les juges d’Amérique du Nord, semblent plus prompts à atténuer les exigences imposées par la loi, parfois même avec une faveur trop grande envers les technologies. Un formalisme électronique qui n’est d’ailleurs souvent pas parfaitement maîtrisé par les acteurs eux-mêmes.
Le formalisme électronique est donc assurément une affaire de culture, qui au-delà du droit, exige de surcroît une appropriation. Il importe dons de laisser du temps au temps et il sera intéressant de vérifier les dires de Monsieur Elloumi dans une dizaine d’années.
Cela dit, ce débat est affaire de degré et nullement en opposition avec la teneur du propos. La présente thèse offre bien davantage un regard clair sur une question qui ne l’est pas, et ce, sans aplanir la complexité du sujet. À cet égard, cela se vérifie par exemple dans l’approche plurielle qui y est proposée en ne fuyant pas la technologie qui y est explicitée clairement sans pour autant tomber dans le mirage des solutions qu’elle autorise.  Également, ce livre présente avec beaucoup de clairvoyance la mise en perspective entre l’organisation des documents sur support papier et les affres de la gestion documentaire que l’électronique impose. En toute honnêteté, il y est présenté que le changement de la donne, de par l’ampleur du phénomène, est loin d’être un long fleuve tranquille. Cette « révolution » est fondamentale ; l’ampleur du changement a d’ailleurs parfois été l’occasion pour des « vendeurs » de droit de préconiser un formalisme qui ne s’imposait peut-être pas.
Le formalisme électronique est donc en construction et Monsieur Elloumi offre à la communauté juridique un outil important à l’érection de l’édifice. Outre sa lecture agréable et hautement référencée, ce document constitue une étape dans l’élaboration de la notion.

Ce contenu a été mis à jour le 11 décembre 2019 à 9 h 30 min.