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Préface dans François Senécal, L’écrit électronique, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2012.

Le livre de François Senécal s’intitulant « L’écrit électronique » est un ouvrage que je puis conseiller sans réserves : au-delà de l’atout que présente sa lecture, pour le chercheur et pour l’avocat, il me plait de souligner, en guise de préambule, un de ses délicieux à-côtés ; en effet, au hasard d’une page, d’une note, il est souvent donné au lecteur la possibilité de tomber sur des références que l’on ne s’attend pas à y trouver. Pour connaître un peu Me Senécal, je crois être en mesure d’affirmer que ce livre est l’illustration parfaite que son auteur est un adepte immodéré de la « serendipité »[1] ; l’illustration parfaite qu’il réinvente la géométrie en « prouvant » que la ligne droite n’est ni le plus court ni le plus utile chemin pour se rendre à destination.
De façon plus sérieuse, le fait d’analyser un principe pluriséculaire comme l’écrit, et de le confronter  à la nouveauté « révolutionnaire » du moment n’est pas une tâche simple à réaliser. L’auteur le montre à plusieurs reprises : l’écrit est fortement inspiré par son appartenance au papier et la numérisation actuelle porte avec elle son lot de confusions. Aussi, face au neuf, François Senécal opta pour une approche d’une grande sagesse : la rigueur. De celle qui ne se confond pas avec l’ennui.
Celle-ci se témoigne d’abord dans la forme de l’ouvrage qui rassure le juriste peu enclin à pareil sujet iconoclaste : d’une part, l’auteur emploie une plume alerte, pleine d’élégance, qui répond parfaitement à la définition, citée par l’auteur, selon laquelle l’écrit est « l’art de peindre la parole et de parler aux yeux »[2]. D’autre part, grâce à un plan au parallélisme parfait et à la progression d’une logique implacable, il parvient à nous éclairer sur cette notion complexe quand vient le temps de la distancier du support physique.
Mais c’est bien davantage sur la substance même de cet ouvrage que la rigueur employée par François Senécal s’exprime.
En premier lieu, il me plait de noter l’intérêt que présente les développements historiques, très documentés, nuancés aussi, sur l’écrit. Non que l’histoire, comme le critique souvent l’historien, ne constitue une explication du futur. Seulement, ce regard vers l’arrière est en l’occurrence indispensable pour minimalement illustrer que la construction d’une institution juridique comme l’écrit n’est pas un « joli fleuve tranquille » à l’évolution rectiligne. L’écrit a pris du temps à se « matérialiser », au gré des évolutions technologiques et de l’acceptation sociale qui en découla.
Ceci nous amène naturellement, en deuxième lieu, à la vision nécessairement plurale que l’auteur propose. Car l’écrit, institution juridique s’il en est, est d’abord et avant tout un outil de communication dont l’usage évolua à travers les siècles. Aussi, il ne peut être pleinement appréhendé sans sortir un peu de la zone de confort du juriste et sans regarder comment il se comprend en communication, en biblioéconomie ou en gestion. Une approche pluridisciplinaire que le civiliste rechigne à suivre, en dépit des conseils à cet égard que même les meilleurs, tel Esmein, prodiguait, il  a plus d’un siècle[3].
Enfin, en troisième lieu, et surtout, l’ouvrage de François Senécal, fort de ces prérequis plus théoriques, constitue un véritable outil pratique d’interprétation de ce que représente l’écrit électronique. Même si une approche comparative est souvent proposée, un accent soutenu est apporté à l’analyse de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information[4]. Relativement à ce texte qui n’est pas sans lourdeurs, ce livre y propose un éclairage utile quant à la place que l’écrit détient tant en matière de preuve que relativement aux conditions formelles qui ne manquent pas d’apparaître au détour des lois et règlements québécois. L’écrit est donc défini ; ses conditions de réalisation sont précisées ; ses différences d’avec des notions « consanguines » que sont notamment la copie ou l’original, sont tracées. L’interprète dispose donc de références, multiples et colorées, pour les utiliser au jour le jour.
 
En bout de ligne, cette vision rigoureuse, tant sur la forme que sur le fond, était sans aucun doute la solution la plus efficace ; la seule peut-être, pour tenter de réconcilier, d’un côté, les généralistes « civilistes », les « spécialistes de rien » comme disait le professeur Jean Pineau, et, de l’autre, les « spécialistes » attachés souvent – sans doute trop parfois – à la règle et au fait nouveaux. Relativement à cet objectif, François Senécal est assurément le parfait candidat pour opérer ce pont entre ces deux communautés juridiques. Preuve s’il en est, ce livre a d’ailleurs été honoré du prix Capitant 2010 pour le meilleur mémoire en droit civil et il a également été facilité par l’obtention de plusieurs bourses en droit des technologies de l’information (telle que la Bourse J.-A.-Louis-Lagassé).
Sa publication n’est donc que justice.


[1] « La « sérendipité » est le fait de réaliser une découverte inattendue grâce au hasard et à l’intelligence ». (Nos soulignements) Définition reprise sur le site de www.wikipedia.org.
[2] Le Grand Vocabulaire François, t. 8, Paris, C. Panckoucke Libraire, 1769, p. 569, v° « Écriture ». La citation est mentionnée en exergue de la Partie 1, Chapitre 1, Section 1.
[3] Adhémar ESMEIN, « La jurisprudence et la doctrine », (1902) Revue trimestrielle de droit civil 5, 16-17.
[4] L.R.Q. c. C-1.1.

Ce contenu a été mis à jour le 11 décembre 2019 à 9 h 28 min.