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CNUDCI et équivalence fonctionnelle

Présentation. Cette semaine, du 08 au 12 avril, j’ai le privilège de faire partie de la délégation canadienne sur le groupe de travail IV (Session 58) de la CNUDCI portant sur le commerce électronique. Ce forum qui se tient deux fois par année (New York au printemps et Vienne à l’automne) a décidé d’axer ses travaux sur la gestion d’identité et les services de confiance, et ce, sur la base des 2 documents suivants :

Depuis les années 80, ce lieu d’échange et de production normative est LE forum international qui a eu à débattre sur plusieurs enjeux majeurs en la matière. Outre plusieurs loi-modèles, dont certaines constituèrent justement des modèles pour plusieurs juridictions, dont plusieurs provinces canadiennes (Ontario, Colombie-Britannique, etc.), la CNUDCI a proposé l’adoption de la Convention des Nations Unies sur l’utilisation de communications électroniques dans les contrats internationaux (New York, 2005). Au Québec, la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information s’est elle aussi inspirée de plusieurs principes fondateurs que la CNUDCI a propulsé dans les communautés de juristes intéressés à ces questions en lien avec le droit du commerce électronique.
Équivalence fonctionnelle. Justement, à propos de ces principes fondateurs, une question fondamentale qui a été avancée durant la journée du lundi mais aussi du mardi est la place à donner à la notion de l’équivalence fonctionnelle. Cette notion a été sinon inventée mais généralisée part la CNUDCI. Si nous avons pu avoir une vision parfois critique sur la notion de neutralité technologique, l’équivalence fonctionnelle a bien servi la communauté en proposant une solution d’une grande sagesse calquant le futur sur le passé ; plus exactement, calquant le numérique sur le papier. Une grande sagesse aussi parce qu’au-delà de l’apport de la comparaison, il était bien tôt, en terme de maitrise de la révolution numérique, de proposer des critères subjectifs qui puissent s’appliquer à ce monde naissant. Ceci dit, près de 30 ans après l’émergence de ce principe, est-on en mesure d’y substituer un autre plus instrumentalisable ?
Gestion de l’identité. Le groupe de travail a longuement réfléchi sur cette question cruciale dans toute forme de commerce mais particulièrement le commerce à distance : comment s’assurer que mon partenaire d’affaire et bien celui qu’il prétend être ? La question n’est pas nouvelle et a notamment, et depuis longtemps consacrée dans tout le traitement de la certification numérique que l’on trouve notamment aux articles 47 et suivants de la Lccjti. Dans le premier article traitant de ce sujet, une disposition, l’article 8 du document 157, propose de reconnaître la gestion d’identité de la façon suivante :

« [Option A pour l’article 8
Lorsque la loi ou une partie exige l’identification d’un sujet selon une certaine méthode, cette exigence est satisfaite dans le cas de la gestion de l’identité si une méthode fiable est employée pour vérifier les attributs pertinents de ce sujet à un niveau équivalent à celui que garantit la méthode exigée.]
[Option B pour l’article 8
Lorsque les parties souhaitent procéder à l’identification d’un sujet ou y sont tenues par la loi, le recours à cette fin à un système de gestion de l’identité emporte un effet juridique équivalent à celui produit par l’application de procédures non électroniques reconnues à cet effet, pour autant que ledit système de gestion de l’identité emploie une méthode fiable pour vérifier les attributs du sujet pertinents aux fins de l’identification.] »

Nous ne souhaitons pas envisager ici la pertinence entre une option ou l’autre ni les termes utilisés d’une première version d’un document qui forcément donnera lieu à des modifications ultérieures multiples. Non, davantage, ce qui nous apparaît important est l’oscillation, qui s’est traduite dans les débats entre d’une part,

  • le soin de vouloir comparer les fonctions qui existent entre les différents moyens d’identifier (équivalence fonctionnelle) et d’autre part
  • le soin de vouloir identifier des critères substantiels pour déterminer ce qui est un moyen satisfaisant pour effectuer la gestion d’identité.

L’équivalence fonctionnelle, approche 1, se traduit dans le texte par les expressions « niveau équivalent » ou « effet juridique équivalent ». L’approche substantielle, approche 2, apparaît davantage avec les termes « méthode fiable » ou « attributs pertinents ». Une ambivalence existe donc entre comparaison et raison ; entre équivalence et principe de proportionnalité.
Proportionnalité. Nous utilisons ce terme à dessein car il a été utilisé récemment dans le Nouveau Code de procédure civile; explicitement à l’article 18 mais aussi implicitement à l’article 26 qui entend favoriser l’usage des technologies.

Dans l’application du Code, il y a lieu de privilégier l’utilisation de tout moyen technologique approprié qui est disponible tant pour les parties que pour le tribunal en tenant compte, pour ce dernier, de l’environnement technologique qui soutient l’activité des tribunaux. (Nos soulignés)

En effet, comme Antoine Guilmain le précise dans sa thèse de doctorat, Le principe de proportionnalité procédurale à l’aune des technologies de l’information:

« Dans cette perspective, il convient désormais, selon la lettre du Code, de « privilégier l’utilisation de tout moyen technologique approprié », c’est-à-dire satisfaisant au principe de proportionnalité. »

Ainsi, si l’équivalence fonctionnelle opère une transition entre deux supports distincts, pour la proportionnalité, c’est différent; on cherche plutôt un idéal, « tributaire de l’impact social et humain qu’aura un dossier sur les parties en litige »; elle « assurera l’accès à la justice des citoyens d’aujourd’hui et de demain » (Piché, 2010). Or, avec égard, nous avons l’impression qu’avec cet article 8 du document WP 157, le « centre de gravité » de cette disposition est autour de ce qui est « fiable » (méthode fiable); de ce qui est « pertinent » (attributs pertinents) et moindrement sur la comparaison avec le papier.
Distance. Une certaine distance est donc consacrée avec l’équivalence fonctionnelle. Et sans doute, cette distanciation est tout aussi inéluctable que bénéfique. L’équivalence fonctionnelle n’est pas la panacée. Elle nous a beaucoup servi (et elle va nous servir encore beaucoup (voir notamment l’article 14 et les débats sur la signature et le cachet)) mais elle ne doit plus forcément être envisagé comme un principe s’appliquant en toutes circonstances. Plusieurs raisons peuvent être motivées en ce sens.
Principe d’interprétation. En premier lieu, il importe de dire dès maintenant que le principe n’est pas mis au rancard mais il faut distinguer ce principe comme principe d’interprétation et principe de rédaction (Gautrais, 2012). Comme principe d’interprétation, il est d’ailleurs consacré à l’article 5 de ce projet d’instrument qui prévoit ceci :

Article 5. Interprétation
L’interprétation du présent [projet d’instrument] est régie par les principes généraux ci-après :
a) Non-discrimination à l’égard de l’utilisation de moyens électroniques ;
b) Neutralité technologique ;
c) Équivalence fonctionnelle ; (…)

Un principe vieux comme le droit et comme l’approche téléologique qui est régulièrement utilisée en interprétation des lois.
Comparaison n’est pas raison. En deuxième lieu, il est difficile de comparer certaines situations qui ne se compare pas. De plus en plus, certaines méthodes d’identification s’effectuent uniquement avec des documents numériques « natifs » qui n’ont soit aucun équivalent papier soit qui ne sont jamais retranscrits sur support papier. Il est donc difficile d’utiliser le papier comme élément de comparaison.
Équivalence des effets = différent. En troisième lieu, et sans volonté d’être exhaustif, nous croyons que si l’équivalence fonctionnelle « fonctionnait » très bien lorsque vient le temps de comparer des fonctions associées à un document, il est très difficile de comparer les effets que ce même document va avoir selon le support utilisé. Le passage d’un support à l’autre va avoir des effets bien au-delà des fonctions consacrées ; ce passage introduit des gains et des pertes. Il s’agit donc de les mesurer et de s’assurer que les seconds sont plus importants que les premiers. La mention de l’article 8 précité, faisant référence à

«un système de gestion de l’identité emporte un effet juridique équivalent à celui produit par l’application de procédures non électroniques»

est donc problématique.
Conclusion. On se rend compte que l’équivalence fonctionnelle, en dépit de tous ses avantages, n’a jamais été clairement définie. Elle ne doit pas être envisagée comme une solution universelle en toutes circonstances et elle ne doit pas non plus être étendue au-delà des fonctions strictes que l’on souhaite voir appliquer. Au regard de cette pauvreté définitionnelle, une certaine confusion est donc consacrée :

« It is worth pointing out at this stage that there is real potential for confusion between the principles of equivalence and technology neutrality. Indeed, the Bonn Ministerial Conference Declaration quoted above links the two expressly. For the purposes of this article, equivalence guides the law maker as to the principles of law which should apply to cyberspace activities and to some extent helps shape the substantive rules. Technology neutrality addresses the choice between the available substantive rules which could be used to implement those legal principles. » [Reed, 2010]

C’est également un principe dont la portée est peut-être moins pertinente qu’avant alors que le commerce électronique gagne en maturité…
 

Ce contenu a été mis à jour le 11 avril 2019 à 11 h 48 min.

Commentaires

1 commentaires pour “CNUDCI et équivalence fonctionnelle”

babam2

29 janvier 2020 à 20 h 57 min

Ce projet d’alinea enumere les criteres generaux d’equivalence fonctionnelle entre les signatures manuscrites et les methodes d’identification electronique visees a l’article 7

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