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Cinq ouvrages « 2021 » sur le numérique

 

Liberté. Ce numéro 34-2 des Cahiers de propriété intellectuelle est, personnellement, un peu spécial ; en effet, et comme mentionné dans le document de présentation au début de ce collectif, j’ai eu le privilège d’y jouer le rôle de Rédacteur en chef. Si la fonction vient avec un certain nombre d’obligations, elle est aussi associée à d’autres privilèges dont un qui est d’y inclure, en toute liberté, des éléments que l’on aimerait y voir intégrer. À cet égard, un phénomène que l’on aperçoit dans le domaine du numérique est la profusion d’oeuvres qui sortent chaque année sur le sujet. Une véritable mode apparaît pour des sujets comme l’intelligence artificielle, les chaînes de bloc (blockchain), l’industrie des données et autres néologismes qui forcément constituent des sujets d’analyse dont la profusion généralisée ne permet pas toujours de distinguer le bon grain dans ce maelstrom scientifique. Cette composition, je n’ose dire cet article, répond à cet objectif : identifier cinq livres qui constituent des contributions importantes à la compréhension du monde des technologies.

Choix éditorial. Bien entendu, le choix de ces cinq ouvrages était délicat. Comme mentionné, il y en avait beaucoup. Il fallait de surcroît les lire ; du moins suffisamment pour déceler leur importance. Et puis il y a un « je ne sais quoi » de « docte » d’attribuer des bons points à des auteurs contemporains, le juriste Malaurie ayant d’ailleurs écrit qu’une « bonne doctrine est une doctrine morte », de peur de voir des guerres de clocher apparaître, au-delà des savoirs.
Aussi, et afin de justifier un tantinet notre choix qui demeure éditorial, plusieurs critères ont permis de faire le tri ; nous en retiendrons quatre.

Ouvrages individuels. En premier lieu, nous souhaitions des ouvrages individuels, voire à deux, mais non collectifs. La raison en était simple : le rapport au temps. Forcément, un ouvrage individuel prend du temps et c’est ce qui, parfois, manque à l’étude du numérique. Or, chacun de ces livres est on le voit, on le sent, les auteurs le disent même parfois, inscrit dans la durée. Face à l’effervescence du numérique, il faut le recul du temps ; le considérer de façon tritemporelle.

Raisons personnelles. En deuxième lieu, il est un confort dans lequel le monde académique se réfugie parfois. Or, face au numérique, je suis souvent à l’affût de mes collègues afin qu’ils m’identifient le livre – ou l’article – qui les a le plus impressionnés. Face au nombre, il importe en effet de se commettre et de mettre l’accent sur ce qui détonne, ce qui étonne. Cet exercice de recension aussi difficile qu’aléatoire nous rappelle que le domaine est voué à une certaine
déraison et que le meilleur moyen d’y remédier, c’est de lire et lire encore. Ce choix pour ces cinq livres est donc très personnel ; certes. Il traduit néanmoins des lectures qui m’ont fait douter. Le doute, ce « mol oreiller d’une tête bien faite » disait Montaigne.

Raisons de diversité. En troisième lieu, notre choix impliquait aussi une variété de perspectives. Ainsi, nous ne voulions pas nous cantonner ni à une discipline, la nôtre le droit, ni à un sujet d’analyse particulier. Fort de cette pluralité d’angles, il nous a été possible de considérer le domaine de la vie privée, les domaines d’application que sont l’intelligence artificielle et la justice digitalisée (numérisée), le cas particulier de la biologie qui se technicise de plus en plus et même, plus généralement, la notion un peu galvaudée d’innovation ; des innovations.

Raisons critiques. Enfin, surtout, en quatrième lieu, il y a dans ces cinq ouvrages un lieu commun ; celui d’un domaine, le numérique, où du fait d’une toute-puissance du marché dans un champ qui a tout de même bénéficié d’un laisser-aller d’encadrement assez généralisé, un regard critique s’opère. Et si ces changements de l’heure n’étaient pas source des améliorations promises ? Et si cette fuite vers l’inconnu était le prétexte à la remise en cause de progrès sociaux qui avaient mis des siècles à se sédimenter ? Comme le disait le philosophe Stiegler, le temps n’est pas à la peur, mais à la revendication. Face à ces évolutions aussi englobantes que rapidement mises en place, il importe de mieux mesurer leurs apports. Une sorte de contrepoids à la toute-puissance innovatrice.

Auteurs multiples. Cela dit, une recension d’articles prend du temps, surtout lorsqu’il s’agit de l’effectuer sur cinq ouvrages diversifiés tant dans l’approche, la discipline ou le sujet d’analyse. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé à six étudiants brillants de la Faculté de l’Université de Montréal d’effectuer cette invitation à la lecture. Six étudiant.e.s qui dans le cadre d’un travail dirigé, agrémenté d’une bourse de la chaire L.R. Wilson en droit du commerce électronique, se sont plié.e.s à l’exercice de résumer plusieurs centaines de pages en quelques dizaines de lignes. À cet égard, je remercie sincèrement, dans l’ordre de présentation, Sarah Ben Salem et Le Zhi Wang (Waldman, Industry Unbound, 2021), Ariadne Florez (Lafontaine, Bio-objet : les nouvelles frontières du vivant, 2021), Rosalie Charbonneau (Crawford, Atlas of IA, 2021), Fairouz Qoulaii (Ménissier, Innovations. Une enquête philosophique), Sarah-Maude Bertrand (Garapon et Lassègue, Le numérique contre le politique, 2021).

Au-delà de l’invitation à la lecture que constituent ces recensions, elles montrent d’abord l’exceptionnelle nouveauté du domaine que l’on peine, encore, à appréhender et a fortiori à réguler. Ensuite, le numérique est un domaine débridé qui favorise la mise en opposition du domaine techno-industriel à une pluralité de sciences sociales dont le droit, la philosophie, le politique, notamment.

  • OUVRAGE 1. INDUSTRY UNBOUND: THE INSIDE STORY OF PRIVACY, DATA, AND CORPORATE POWER de Ari Ezra Waldman
    Sarah Ben-Salem & Le Zhi Wang (page 687)
  • OUVRAGE 2. BIO-OBJETS : LES NOUVELLES FRONTIÈRES DU VIVANT de Céline Lafontaine
    Ariadne Florez (page 692)
  • OUVRAGE 3. ATLAS OF AI de Kate Crawford
    Rosalie Charbonneau (page 696)
  • OUVRAGE 4. INNOVATIONS. UNE ENQUÊTE PHILOSOPHIQUE de Thierry Ménissier
    Fairouz Qoulaii (page 700)
  • OUVRAGE 5. LE NUMÉRIQUE CONTRE LE POLITIQUE de Antoine Garapon et Jean Lassègue
    Sara-Maude Bertrand (page 704)

 

Ce contenu a été mis à jour le 16 novembre 2023 à 9 h 44 min.