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Préface dans Nicolas Vermeys, Droit codifié et nouvelles technologies : le Code civil, Éditions Yvon Blais, 2015.

En 1999, lors d’une conférence sur le « nouveau » Code civil du Québec qui marqua les esprits, le professeur Jean Pineau avait tenté de se définir en utilisant l’élégante affirmation selon laquelle il était « spécialiste en rien »[1]. Au-delà de l’apparente boutade, et bien plus qu’un trait de caractère, cet éminent collègue nous délivrait alors, assurément, une quête que tout juriste devrait suivre pour mener à bien ses recherches : ne point se cantonner à son « timbre-poste intellectuel » ; oser sortir du « confort » douillet de ses champs d’investigation initiaux. Le rappel de cette citation me paraît pertinent dans les circonstances car en lisant le présent ouvrage du professeur Vermeys, j’ai l’intime conviction que ce conseil d’un autre siècle a pourtant été suivi à la lettre par l’auteur. Livre par livre, le Code civil du Québec est disséqué, analysé au regard d’une réalité technologique qui n’était pas la sienne lors de son élaboration. Nicolas Vermeys avec l’à-propos, la rigueur, l’exhaustivité de l’analyse qu’on lui reconnaît, dévoile sa polyvalence au vu et au su de tous. Pour le bonheur de la communauté juridique québécoise, le supposé spécialiste se spécialise en « rien ».
La tâche était d’autant plus délicate que, ne nous le cachons pas, un hiatus s’était passablement installé entre « généralistes » civilistes et « spécialistes » du droit des technologies. La doctrine civiliste d’abord, à quelques exceptions près, et à la différence du droit français, a quelque peu « boudé » cette nouvelle réalité électronique ; quant à la jurisprudence, là encore, elle se caractérise davantage par l’évitement que par le traitement des dispositions nouvelles[2]. Après quelques occasions manquées, telle que par exemple la déconvenue autour de l’arrêt Dell[3] rendu par la Cour suprême, le domaine est en manque de « grandes décisions » qui puissent bénéficier à des situations numériques encore adolescentes. Il est vrai que la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information[4] (ci-après « L.c.c.j.t.i. ») n’a pas aidé les choses en étant passablement ignorée. En effet, ce texte phare mais abscons s’attaqua au Code civil du Québec, crime de lèse majesté, et ne donne lieu pour le moment qu’à une jurisprudence pour le moins famélique. Sous-utilisée par les juges, généralistes par essence, ces derniers sont effectivement d’un naturel chagrin face à sa facture qui ne s’impose pas.
Aussi, la confrontation du « bon vieux » droit civil avec le droit des technologies « tout-feu-tout-flamme » passe inévitablement par un dialogue. Or, il y a dans cet ouvrage quelque chose qui s’apparente à une main tendue ; à la nouveauté des technologies, professeur Vermeys s’harnache des outils et terminologies des civilistes pour appréhender, à bras le corps, des notions vieilles comme le droit. Dans un premier temps en effet, le professeur Vermeys va aux sources et s’attache aux définitions « originelles » que le creuset virginal des technologies imposent sinon de reconsidérer mais de vérifier. Les notions traditionnelles de « personne », de « bien », de « contrat », de « preuve », et bien d’autres, sont donc analysées avec profondeur puis sont confrontées à l’environnement technologique. Bien sûr les débats sont ouverts. A titre d’exemple, depuis Picard, Roubier, pour ne citer qu’eux, la propriété n’a cessé de prêter le flan à l’analyse et aux tentatives de catégorisation pour encadrer la notion. Egalement, autre illustration, relativement aux droits de la personnalité, nous sommes dès aujourd’hui dans le « déjà demain » lorsque la machine, le drone, le robot, obligent à repenser la « frontière de la personne »[5]. Au même titre que le drone bouleverse le droit de la guerre[6], le robot malmène les idées préconçues sur les droits de la personnalité. Après les droits de « Fido »[7], pourquoi pas ceux de « Nao »[8] !
Mais les technologies ne prêtent pas uniquement, dans l’absolu, à la conceptualisation juridique ; cet ouvrage permet en second lieu d’accompagner harmonieusement le bouleversement que constitua la L.c.c.j.t.i. dans le microcosme juridique québécois. Professeur Vermeys la « civilise » en la rendant moins indigeste ; un travail qui s’impose d’autant plus eu égard aux modifications profondes qu’elle a introduit dans le droit positif québécois. Fait remarquable, l’accompagnement de ce texte « neuf » prend appui sur des décisions « anciennes », d’avant la Loi. Par ce stratagème, Nicolas Vermeys parvient à l’apprivoiser au commun des juristes. Il montre ainsi que la « férocité » de ce texte relève davantage de sa forme que de son contenu.
Vous l’aurez compris, plus qu’un dialogue, ce livre participe à une tentative de réconciliation ; d’apaisement… Et juste à ce titre, le présent ouvrage mérite d’être lu. De surcroît, vous découvrirez une œuvre hautement documentée, au langage clair, à la plume alerte, d’autant que l’auteur se prononce avec aplomb sur plusieurs des problématiques présentées. Comme on pouvait s’y attendre, le lecteur trouvera dans cet ouvrage de la science ; bénéfice collatéral non négligeable, je puis lui assurer qu’il y trouvera aussi du plaisir.
Vincent Gautrais
Directeur du CRDP
www.gautrais.com
06 mars 2015
 
[1] Jean Pineau, « 3ième conférence Albert-Mayrand : le nouveau Code civil et l’intention du législateur », Éditions Thémis, 2000, en ligne < https://ssl.editionsthemis.com/livres/livre-4110-3e-conference-albert-mayrand-m-le-nouveau-code-civil-et-les-intentions-du-legislateur.html > (consulté le 06 mars 2015)
[2] Dominique Mougenot, « La preuve et les nouvelles technologies », dans Bérénice Fosséprez et Audrey Pütz, La preuve au carrefour de cinq disciplines juridiques », Anthémis, Limal, 2013, p. 161 : « il est révélateur de constater que la quantité de jurisprudence en matière de preuve technologique est inversement proportionnelle à l’importance des écrits qui lui ont été consacrés. »
[3] Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34.
[4] RLRQ c C-1.1.
[5] Judith Rochfeld, Les grandes notions de droit privé, Thémis Droit, Paris, 2011, p. 23.
[6] Grégoire Chamayou, Théorie du drone, La Fabrique Éditions, Paris, 2013, p. 220.
[7] Alain Roy, « Papa, maman, bébé et… Fido! L’animal de compagnie en droit civil ou l’émergence d’un nouveau sujet de droit », (2003) 82 Revue du Barreau Canadien 791-808.
[8] Wikipédia, « Nao (Robotique) », en ligne < http://fr.wikipedia.org/wiki/NAO_(robotique) > (116 auteurs distincts) (consulté le 06 mars 2015)

Ce contenu a été mis à jour le 11 décembre 2019 à 9 h 21 min.