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UberX + droit

Christopher Michel

 (notes utilisées dans le cadre de la présentation de l’un des 5 thèmes d’actualité ce jour le 28 avril 2015)

1 – Présentation des technologies disruptives
Les technologies disruptives sont à la mode mais pas tout à fait. Certes, et comme en témoigne l’actualité Montréalaise pour le moins foisonnante avec UberX, on évoque fréquemment ces jours-ci ces technologies ou plutôt ces services rendus possibles grâce à la survenance d’une technologie nouvelle autorisant un meilleur transfert informatif. Cette efficacité informative vient par la suite modifier les joueurs impliqués d’un marché donné que ce soit pour l’offre ou pour la demande. Deux changements principaux apparaissent donc :

  • on change la donne technologique ;
  • ce faisant, on ouvre la capacité de rendre ce service par des particuliers ou pour un public qui n’était pas préalablement visé.

Selon l’expression d’Adam Thierer, on est dans une situation de dérangement de marchés établis, de « Permissionless innovation ». Cette notion

« as been the secret sauce that fueled the success of the Internet and much of the modern tech economy in recent years, and it is set to power the next great industrial revolution—if we let it. »

Mais cette notion n’est en fait pas tout à fait récente car cela fait presque 2 décennies que l’on en parle, le concept étant généralement associé aux travaux de Christensen, professeur à Harvard, en 1997, avec son livre s’intitulant « Innovator’s Dilemna » (pdf). Pour aller plus loin, il est également commun d’associer ce néologisme à la « destruction créatrice » (Wikipedia, 76 auteurs) de Schumpeter (1942).
Dans le monde des technologies, les illustrations sont sans fin et les exemples suivants tiennent lieu d’un choix éditorial : http://www.canlii.ca qui met en ligne lois et jurisprudence gratuitement obligea le marché de l’édition juridique à changer la gamme de ses produits et d’innover. Les services juridiques, surtout dans l’anglophonie, voit d’un œil inquiet la survenance de services provenant de pays en émergence où des actes juridiques plus « triviaux » sont parfois produits au dixième du prix (voir sur droitdu.net la conférence de Dominic Jaar faite à LegalIT sur le sujet de l’avocat en mutation). Ma découverte de la semaine est le site http://99designs.ca/ qui propose des « concours » de travaux dans le domaine du design a des prix défiant toute concurrence. Défiant toute concurrence… nous voilà justement au cœur du sujet de notre débat juridique ; partiellement juridique, que nous verrons en premier, suivi de d’autres considérations juridiques plus secondaires.
2 – Cas particuliers des professions réglementées
La situation est somme toute assez simple quand cette innovation concerne un domaine « ordinaire » où la concurrence est « libre ». En revanche, c’est plus compliqué lorsque l’on est face à des marchés régulés qui pour des raisons historiques, d’intérêt public, bénéficie d’un contrôle d’une instance dédiée, selon une architecture pyramidale.
C’est justement ce que met en place la Loi concernant le transport par taxi qui encadre une profession tant par la mise en place de principes substantiels à respecter (normes de sécurité, qualité à respecter tant pour les chauffeurs   que pour les autos, etc.) que d’une infrastructure de contrôle que constitue notamment la Commission des transport du Québec. Nous sommes face à une situation somme toute fréquente : une loi « ancienne » est-elle en mesure d’encadrer une situation « nouvelle » ? Une bataille entre classiques et romantiques s’amorce.
Dans le camp des classiques, il y a les lecteurs de façon littérale de ladite Loi. Le point central qui doit être considéré est le suivant :

  • les conducteurs d’Uber sont-ils des chauffeurs de taxi et donc assujettis à la Loi ?

L’article 4 de la Loi est pour le moins inclusif :

« Pour offrir ou effectuer un transport rémunéré de personnes à l’aide d’une automobile, une personne doit y être autorisée par un permis de propriétaire de taxi. »

Il est difficile d’interpréter autrement un texte clair ; et ce même si on pourrait sans doute envisager un traitement particulier pour le cas spécifique de conducteur très occasionnel. Le parallèle avec le traitement fiscal de eBay par la Cour fédérale d’appel en 2010 pourrait-être envisagé, les « power-sellers » étant jugés comme des entreprises soumises à une taxation propre à toute entreprise. Mais face à un texte clair, face à une série limitée d’exceptions (article 3 de la Loi) dont aucune ne semble applicable en pareilles circonstances, le droit posé semble incontournable.
Après ce texte clair, il faudrait voir si le droit de la concurrence pourrait jouer une action quelconque en la matière. En Europe, au regard de ce fondement de l’Union européenne, la chose est possible ; au Canada. Rien n’est moins sûr.
Des représentants d’Uber semble invoquer, c’est un lieu commun en pareilles circonstances, le « vide juridique ». Que nenni ; le vide juridique est généralement invoqué, comme le disait le professeur Lucas, quand il concerne un droit qui est en notre défaveur. Ici, il n’y a pas un manque de droit ; il y en a presque trop. Et c’est là que la vision romantique intervient.
Dans le camp des romantiques, il y a ceux qui considèrent que cette loi est d’un autre temps et qu’elle protège un « cartel » de personnes ayant intérêt à perpétuer cet état de fait. Bien loin des intérêts des usagers, acteurs supposés justifier une loi d’exception, c’est davantage l’industrie « traditionnelle » que l’on protège.
On peut citer la sortie publique de la Vice-présidente de la Commission européenne, rien de moins, qui s’insurge contre une récente décision belge justement interdisant l’offre de service dans la capitale belge, et ce, en des termes pour le moins explicites :

« This decision is not about protecting or helping passengers – it’s about protecting a taxi cartel.  The relevant Brussels Regional Minister is Brigitte Grouwels. Her title is “Mobility Minister”.  Maybe it should be “anti-Mobility Minister”. She is even proud of the fact that she is stopping this innovation. It isn’t protecting jobs Madame, it is just annoying people! »

De façon moins tranchée, le Bureau de la concurrence canadien (24 novembre 2014) invitent les villes à considérer l’application de ces technologies disruptives comme moyen d’améliorer les services rendus aux usagers. Un appel à la négociation est lancé.

« The Competition Bureau is of the view that these innovative business models have the potential to offer important benefits to consumers through more competition, including lower prices, greater convenience and better service quality for a variety of reasons. »

Toujours du côté des romantiques, il semble y avoir les consommateurs eux-mêmes, plutôt en faveur d’une concurrence justement à un service dont les améliorations semblent nombreuses. À titre d’exemple, et sans portée scientifique aucune, une pétition de 13 000 personnes à Genève défendait l’intervention de ce nouveau service à moindre coût. A Montréal, les articles de journaux dénonçant le corporatisme du milieu foisonnent.
Et puis, quel succès !!!! Que ce soit en terme d’expansion

  • « Uber’s rides in San Francisco are growing 3X per year
  • Uber’s rides in New York are growing 4X per year
  • Uber’s rides in London are growing 5X to 6X per year »

que ce soit en terme de capitalisation41 milliards est l’un des chiffres souvent avancé quant à la valeur de ce nouveau joueur du transport urbain.
2.1 – Pouvoir des villes et de l’État
Revenons au droit positif ; les villes semblent en l’occurrence des acteurs majeurs et jouent un rôle déterminant. Au Canada, à Vancouver, la réponse de la ville fut telle qu’Uber décida de stopper momentanément ses services. À Toronto et Montréal, des déclarations publiques claires montrent un désamour pour ces nouvelles solutions offertes. Le gouvernement du Québec s’il n’était pas contre la version initiale d’Uber, a plus de difficulté avec la version UberX où le particulier entre en scène.
Au regard d’une recherche rapide, le seul rapport de la Ville de Montréal (juin 2014) qui semble être disponible sur ces services dits illégaux, n’évoque qu’une seule approche réglementaire et non pas une quête de la qualité des services rendus :

« Afin de limiter et de contrer le transport illégal, une démarche concertée avec les services existants doit s’opérer. En appui aux propositions du BTM, les intervenants demandent une augmentation du nombre d’inspecteurs, le pouvoir de saisir des véhicules et l’imposition d’amendes plus lourdes aux transports illégaux. Il s’agit donc que le BTM poursuive les efforts entrepris. Il est aussi suggéré, pour combattre le transport illégal, d’accroitre le transport collectif. De plus, les pratiques de surcharge tarifaire doivent être dénoncées. »

Ailleurs, la France mit de l’avant son appétence naturelle vers plus de régulation et plus de domaines réservés. Le Conseil constitutionnel sembla valider ce pouvoir d’action que l’on aperçoit dans la Loi dites Thevenoud. En revanche, Bruxelles, après pourtant une première décision de justice en faveur de la corporation de taxi traditionnel (en avril 2014), semble désormais ouverte non pas à l’interdiction pure et simple mais à la négociation. Ailleurs encore, on peut citer le cas de l’Espagne où l’activité a été interrompue, voire même le cas de la Corée du sud, pays le plus connecté du monde, où des charges criminelles ont été dirigées contre le CEO d’Uber.
Interdire ou réguler ? Comme pour AirBnb (en Californie), comme pour l’industrie du luxe, les instances compétences doivent trancher. Statu quo ou innovation ?
2.2 – Pouvoir des compagnies de taxi traditionnelles 
Évidemment, les recours des compagnies de taxi existent sous différentes formes. À Montréal, un recours collectif est également intenté, et ce, suite à une requête d’autorisation qui semble avoir été déposée le 19 décembre 2014. Je ne parlerais pas des tentatives de «justice à soi-même» qui firent les manchettes; c’est du non-droit.
3 – Questions juridiques secondaires
Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut aussi identifier au-delà de la stricte question de la légalité de tels services, plusieurs questions de droit :

  • Il y a d’abord toute la question de la protection des renseignements personnels, les données personnelles étant sans aucun doute une des composantes qui rentre en ligne de compte dans le modèle d’affaire de la compagnie Uber. (voir à cet égard le blogue de Michael Geist quant à ses inquiétudes sur le sujet) ;
  • Il y a aussi la nature de la qualification contractuelle qui lie Uber avec ses « conducteurs ». Deux recours collectifs viennent d’être considérés tout récemment contre Uber et Lyft en Californie quant au fait de savoir si ces derniers sont des employés ou non. Des tentatives d’écarter ces recours par les compagnies précitées (11 mars 2015) viennent d’être refusées par deux juges distincts.
  • Sur le plan fiscal également, des enjeux vont voir le jour pour les conducteurs qui outrepassent leur statut initial de particulier qui fait une sorte de « co-voiturage » un peu élaboré. De la même manière que les « Power-sellers » de eBay se sont vous imposer l’obligation de taxer comme il se doit les ventes effectuées en ligne (eBay Canada Ltd. v. M.N.R., [2010] 1 FCR 145, 2008 FCA 348), il est difficile de trouver une justification pour empêcher un pareil parallélisme pour ce service de « Véhicule de transport avec chauffeur (VTC) » comme disent les français ;

Uber’s data collection could enable it to deter or prevent discrimination by drivers—which is quite difficult in a fractured taxi industry. Whether Uber ultimately takes that step will depend in part on the answers to two threshold legal questions. First, Uber’s exact duties under federal and state civil rights laws are not yet clear. Disability-rights organizations have argued that the company is a taxi service under the Americans with Disabilities Act of 1990, for example, and therefore must make reasonable accommodations for disabled passengers.

 

Ce contenu a été mis à jour le 28 avril 2015 à 14 h 49 min.

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