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C-13 et le projet de loi controversé contre la cyberintimidation

Je ne suis pas criminaliste; ce domaine a ses particularités et constitue un droit à part que je maîtrise mal. Ceci dit, je constate qu’il intègre les technologies avec toujours autant d’inquiétudes, de suspicion. C-13 va dans cette direction et ce «gros» texte de plus de 40 pages rebondit sur l’actualité tristement sordide pour paver une voie qui va toujours dans la même direction: plus de lois, plus d’infractions, plus de répression.

Ironie de l’histoire, l’infraction que l’on se propose d’ajouter dans le Code criminel porte sur l’utilisation d’informations intimes, sur l’utilisation non consentie de la vie privée d’autrui:

162.1 (1) Quiconque sciemment publie, distribue, transmet, vend ou rend accessible une image intime d’une personne, ou en fait la publicité, sachant que cette personne n’y a pas consenti ou sans se soucier de savoir si elle y a consenti ou non, est coupable :
a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
(2) Au présent article, « image intime » s’entend d’un enregistrement visuel — photographique, filmé, vidéo ou autre — d’une personne, réalisé par tout moyen, où celle-­ci :
a) y figure nue, exposant ses seins, ses organes génitaux ou sa région anale ou se livrant à une activité sexuelle explicite;
b) se trouvait, lors de la réalisation de cet enregistrement, dans des circonstances pour lesquelles il existe une attente raisonnable de protection en matière de vie privée;
c) a toujours cette attente raisonnable de protection en matière de vie privée à l’égard de l’enregistrement au moment de la perpétration de l’infraction.
(Nos soulignés)

Ironie de l’histoire car il est étonnant de criminaliser une nouvelle atteinte à la  vie privée en reprenant, comme l’indique Michael Geist, des bouts de l’ancien projet de loi C-30 qui justement était tombé au combat faute de respecter plusieurs principes fondamentaux en la matière. Pour reprendre un propos tenu lors d’audiences parlementaires en juin 2012, avec d’autres (dont Ian Kerr), si l’on souhaite protéger davantage la vie privée au Canada, donnons plus de ressources au Commissariat à la vie privée. Michael est particulièrement choqué par la capacité introduite par ce projet de loi d’accéder beaucoup plus facilement aux métadonnées:

The bill includes a provision defining « transmission data », which covers the much-discussed metadata created from telecommunications. The production order can be used to order to production of any transmission data (ie. metadata). The standard is lower than for other warrants.Ironically, the lower standard for metadata comes just as the Supreme Court of Canada has warned that « it is difficult to imagine a more intrusive invasion of privacy than the search of a personal or home computer » in the R. v. Vu case.

Évidemment, le présent propos n’est pas pour minimiser le comportement déviant où certains publient des photos compromettantes d’autrui avec parfois des conséquences horribles, et ce, même si le drame fondamental de notre jeunesse n’est pas là: 23% des décès chez les jeunes de 15 à 19 ans est lié aux suicides; les récentes affaires, Loik, Parsons, Todd sont évidemment dramatiques et elles doivent sans doute être intégrées dans un cadre plus global. trois points néanmoins. Seulement trois.
Le premier est que l’actualité a beaucoup parlé d’une situation qui m’apparaît peut-être la plus problématique et que le projet de loi ne traite pas en particulier: la publication de photos entre adolescents. En effet, par bêtise, vengeance parfois, certains jeunes rendent accessibles des images intimes d’autres jeunes s’exposant par le fait même à d’éventuelles poursuites liées à la pédopornographie. Je viens d’en parler avec mon collègue criminaliste Amissi Manirabona, il y a en effet la possibilité de poursuivre un mineur qui aurait utilisé (possédé, communiqué, fabriqué, etc.) du matériel contenant des images d’autres mineurs. Le communiqué de presse du Gouvernement du Canada évoque pourtant cette situation:

Par cette mesure législative, nous confirmons que ce type de comportement est absolument inacceptable et qu’il a des conséquences graves, a ajouté le ministre Blaney. Dans le cadre de la Semaine de la sensibilisation à l’intimidation, nous sommes déterminés à rappeler aux victimes qu’elles ne sont pas seules et à les encourager de parler à un enseignant, une personne adulte de confiance, un parent ou un ami. L’intimidation – en ligne ou hors ligne – est un problème qui nous touche tous, et nous avons tous un rôle à jouer pour y mettre un terme.

Ceci dit, au-delà de l’effet d’annonce, je crois qu’il est plus sage, plus fiable, de s’intéresser aux vraies études: et je viens de lire celle, très éclairante, des auteurs Longpré, Fortin et Guay (p. 115) s’intitulant «Échange de pornographie juvénile entre adolescents» (dans Francis Fortin (dir.), Cybercriminalité: entre inconduite et crime organisé, Presse internationale Polytechnique, 2013), où plusieurs statistiques apparaissent utiles à connaître. D’abord, les filles représentent 95% des victimes (entre 13 et 16 ans) et 30% des suspects (entre 14 et 16 ans) (p. 121). Également, dans l’immense majorité les cas, les victimes et suspects se connaissent (97%). L’image classique du prédateur qui rode ne correspond que très peu à cette situation; comme dans la plupart des infractions à caractère sexuel d’ailleurs. Autre chiffre troublant, presque les 2/3 des victimes avaient consenti à l’enregistrement (p. 124), ce qui évidemment montre, eu égard à la place déterminante du consentement, sur laquelle nous reviendrons, que le projet rate sa cible. Enfin, là encore une certaine mesure semble de mise en ce qui a trait à la diffusion du matériel qui est généralement vu par 1 à 20 personnes (p. 126). On est loin dans l’immense majorité des cas où «d’un simple clic pour qu’une personne devienne une victime devant les yeux de la planète entière».
En deuxième lieu, il importe de se demander si l’on a besoin d’une nouvelle infraction, encore une fois, si l’on cible particulièrement la protection des jeunes. Le rapport sur lequel se base le communiqué de presse accompagnant le projet de loi est fort intéressant et prend le soin de lister les infractions existantes (p. 9):

  • harcèlement criminel (article 264);
  • proférer des menaces (article 264.1);
  • intimidation (paragraphe 423(1)),
  • méfait concernant des données (paragraphe 430(1.1));
  • utilisation non autorisée d’ordinateur (article 342.1);
  • fraude à l’identité (article 403);
  • extorsion (article 346);
  • faux messages, propos indécents au téléphone ou appels téléphoniques harassants (article 372);
  • conseiller le suicide (article 241);
  • libelle diffamatoire (articles 298-301);
  • incitation à la haine (article 319);
  • pornographie juvénile (article 163.1);

Avec égard, je n’y trouve aucun argument par la suite quant à la nécessité d’une nouvelle infraction. Les comparaisons faites à l’étranger et notamment aux États-Unis ne font pas état des résultats mitigés qui ont parfois été mesurés suite à l’adoption de tels textes. Sans prétendre à l’exhaustivité, je peux notamment citer le papier suivant au titre évocateur: «Cyberbullying Legislation: Why Education is Preferable to Regulation».
En troisième lieu (mais il y aurait tant à dire), on peut comme Davis Fraser évoquer la difficulté à appliquer le contrôle du consentement qui semble être le critère fondamental de la reconnaissance de l’infraction.

162.1  (1) Quiconque sciemment publie, distribue, transmet, vend ou rend accessible une image intime d’une personne, ou en fait la publicité, sachant que cette personne n’y a pas consenti ou sans se soucier de savoir si elle y a consenti ou non […]

Car comment vérifier le consentement, surtout lorsque l’image se propage, et ce, même si le «sans se soucier de …» laisse la place à une incrimination accrue:

«This is a very difficult provision to get right and an easy provision to get wrong. It is a good thing, in my view, that in order to be found guilty, the accused has to have known that the person depicted did not give consent. But the standard is then lowered to being reckless about whether or not the person gave their consent. This is problematic, in my view.» 

La tendance pour plus de lois, plus de condamnations, plus de «droit dur», est bien présente surtout quand on traite de nos enfants; et même si cela se fait parfois avec plus de passion que de réflexion. Encore une fois, je ne suis pas convaincu par les lois qui sont d’abord et avant tout des outils d’encadrement des comportements et qui devront par la suite être utilisés par les professions juridiques (avocats, juges, etc.). Or, malheureusement, au Canada comme ailleurs, les lois deviennent des outils de communication, adoptées parfois dans la hâte suite à un événement malheureux, préalablement à une élection, etc. Dans un précédent ouvrage, j’ai dénoncé le réflexe législatif pour traiter des nouvelles technologies. Le retour aux sources, au «vieux» droit est souvent plus efficace. Et je crains que ce soit particulièrement vrai en droit criminel.

Ce contenu a été mis à jour le 21 novembre 2013 à 23 h 23 min.

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